La maitre machine

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Vaux maudits

 

The dogs of war

 

 


 

  Cependant qu’Iliah, et ses nouveaux compagnons de route, narraient leurs mésaventures respectives, dans la discrète taverne tamisée, Mégildas et Magilan, eux, ont ratissé au peigne fin chaque recoin du nauséabond hameau souterrain, le croient-ils du moins, à la recherche des trois petits impertinents. Sans succès. Bredouilles, ils ont fini par subodorer les fugitifs planqués dans un des chariots des camelots. Ils ont donc suivi la colonne principale, lorsqu’à la tombée de la nuit elle a quitté l’insalubre carrière, en se tenant à distance juste suffisante pour ne pas se faire griller. Guettant, tranquillement, le moment propice pour fouiller le convoi. Magilan, largué complet par le récent enchaînement, pas réglementaire du tout, des événements, a trouvé, en la personne de Mégildas, figure rassurante, sinon réconfortante : même si le sanguin colosse se montre peu enclin à répondre aux centaines de questions entremêlées que le flic se pose, en boucle, dans sa tête, il semble, toutefois, bien connaître les lieux. En tous cas, il s’y meut à l’aise. Et, à ce que Magilan a pu en voir, il paraît plutôt perspicace d’y être accompagné d’un bon guide, chevronné, de préférence. Son assurance et sa façon claire de prendre les choses en main lui conviennent bien, aussi, tout habitué qu’il est, dans son métier, à faire preuve, constamment, lui-même, d’esprit d’initiative. Bon, le bougre a l’air un peu brute de décoffrage, quand même, et, surtout, particulièrement teigneux, mais bon, il en a pris son parti : c’est probablement son environnement désastreux, qui l’a modelé ainsi. Qui s’en serait mieux sorti, au contact de la plèbe puante, bruyante et analphabète de bas étage qui infeste ce terrain vague sordide et mal famé ? Si c’est pas malheureux. Un putain de Ploucland dans toute sa splendeur. Et puis Mégildas est armé, d’une bonne vieille carabine, ce qui, c’est incontestable, ne peut qu’incarner une carte maîtresse, dans ces folles, et si sauvages, contrées. Dire qu’il n'a même pas embarqué son gun, en quittant son appart parisien, sombre crétin qu’il est. Nouveaux décrets sur l’ équipement réglementaire en mission de filature , mon cul ! Une bonne grosse grenade de désencerclement, pour nettoyer tout ça, c’est ça qu’il faudrait, ouais !

 

 

 

 

  Lorsque les marchands plantent leur campement dans un petit cirque de sable et de graviers, entouré de dunes élevées, les deux acolytes se couchent au sommet de la plus haute d’entre elles, puis prennent le temps de soupeser les forces en présence : Les atonomades sont, en tout, une dizaine. Plus trois mechadrupèdes, et autant de chariots, eux-mêmes surchargés d’impressionnants amoncellements de denrées et de bidons bariolés en tout genre. Le tout enveloppé par de larges bâches kaki vomi, planques idéales pour les trois clandestins présumés. Mégildas, qui ne décolère toujours pas du cuisant camouflet que lui a infligé l’autre merdeuse, et qui semble prendre les choses particulièrement à cœur, pas très client, visiblement, du laisser pisser, patiente, en silence, allongé, ventre à terre, Magilan encore tout tourneboulé, à ses côtés, que tous ces gens roupillent profondément sous la grande tente au joli camouflage militaire Tchad-les-sables, pour lancer son offensive. Un vieux fossile, tout seul, et visiblement essoré, une peau galeuse collée sur des os tordus, monte la garde, avachi, en pseudofaction contre une roue de chariot. Un fascinant furoncle injecté dégouline, en abondance, sur sa joue gauche et englue trois mèches de longs cheveux poivre et sel gras, filasses, entortillés et pelliculeux. Ses pognes calleuses griffues trimballent un antédiluvien Luger rouillé. Le modus operandi de l’irascible colosse barbu est des plus basiques : il jauge la scène, se lève d’un geste brusque, puis dévale le flanc de la dune, en enjambées fouillies désynchros, ses vieilles godasses usées en skaï de croco véritable enfoncées dans le sable, jusqu’aux genoux, avec une discrétion de porte-avion américain, plus ou moins dissimulé du vieux guetteur par les massives charrettes. Sans même faire mine de ralentir, il tire un long poignard denté, des deux côtés, aussi aiguisé qu’un massicot, du fourreau attaché à son ceinturon rongé, cravate le pauvre papy et l’égorge, sans aucune autre forme de procès, d’un geste assuré de vieux violoniste qui en a vu d'autres. Le gus s’effondre, dans un borborygme vraiment affreux, tandis qu’un flot noir généreux giclé de sa carotide sectionnée arrose son polo blanc déjà sale. Puis une tornade impétueuse s’abat tout à coup, sans crier gare, sous le large abri d’où retentissent trois coups de feu affolés, immédiatement suivis de hurlements absolument atroces, succédés de gargouillis moribonds accablants, qui ne laissent aucun doute possible sur la qualité de la scène de barbarie insensée qui doit se dérouler là-dedans, démontrant en tous cas, une fois de plus, que l’assassinat est un art qui fait appel à de multiples talents. Avant que trois petites minutes dix de frénésie meurtrière ne se soient écoulées, le grand chauve belliqueux réapparaît, couvert de la tête aux pieds de sueur mêlée de sang, et se dirige, d’un pas résolu, vers les chariots. Il tranche les vieilles cordes qui sanglent les bâches, dévoilant un amas désordonné de malles en ferraille, de bidons rouillés à la peinture tout écaillée, isotopes périmés et baryums de troisième main, et de sacs joufflus qu’il éventre avec méthode. Enfin, il gueule, à l’attention de Magilan, resté stupéfait par ce soudain, et si brutal, pic de sauvagerie débridée, qui se dit que ce gogol vient a priori de perdre, à l’instant même, tout sens commun, pour basculer, sans rémission possible, dans la vacuité de l’illégalité la plus assumée qui soit.

  – Hé, amène-toi, Ducon, tu peux caler c’est bon, on a fait chou blanc, y sont pas là !

  Badass, sa protubérante barbe drue est maculée de petites poches de sang. Ses yeux, rougis de rage, eux, s’orientent alors, d’un coup, vers un des innocents kadrus endormis.

Chapitre 9
Chapitre 11