Several Species of Small Furry Animals Gathered Together in a Cave and Grooving with a Pict
Indi n'en croit toujours pas ses yeux : d’abord, Tony, ce cassos de bouffon du levant, qui a rien trouvé de mieux à foutre que de bêta-tester son nouveau gadget de nerd, en pleine teuf, au Glory. Non, mais, n’importe nawak. Et fallait, bien entendu, que cet abruti de bridé mongoloïde tombe sur un de ces engins, bien bien chelous, qui circulent sous le manteau du darknet. Alors, comme ça, la rumeur dit vrai. Pas croyable. Le truc n'est donc pas une légende urbaine.
Bon.
D’accord.
Ensuite, en un clin d’œil, ce désert, tout blanc tout partout. Implacable. Indira a eu, comme premier réflexe machinal, de porter ses mains à son visage. Pour vérifier si, des fois, il ne serait pas, tout bêtement, entré dans un nouveau FPS particulièrement bien chanmé. Mais non : le casque n'est plus là. Par conséquent, il doit s’agir d’autre chose. La vérité est ailleurs.
Vérification d’emblée du chee : zéro barre de réseau.
Évidemment bien sûr.
Comme, à sa connaissance, aucun désert tropical n’est référencé dans le cadastre du Xe depuis, au moins, 453 000 avant J.-C., il se demande dans quel after bizarre il a encore bien pu atterrir ce soir. Et, maintenant, l’Adolf pédant, avec ses sourcils de lama et sa vieille dégaine de charlot, qui le colle depuis le début de la soirée, qui se croit discret, mais qu’il a repéré direct au premier rade – la méfiance est de mise, par les temps qui courent. Devenue, par nécessité, une seconde nature : hypocrisie et ingérence étant, de fait, les deux testicules fripées de la molle turgescence buratico bananière de l’Union. Ledit poulet, donc, vient de se matérialiser, pas loin, à une centaine de pas, environ. Comme si ce putain de sable tout blanc venait tout juste, par magie, de le chier. Tony est là, lui aussi : il s’est mis à trotter vers un tas de roches au lointain. Espérant peut-être y dénicher un peu d’ombre, un point de vue, ou de quoi réveiller son chee. Et il est déjà, c’est clair, trop éloigné pour l’entendre, s’il l’appelle. Alors il l’imite. N’ayant aucune envie de se retrouver tout seul dans ce paysage tout vide, et particulièrement désolé, sous une fournaise à déshydrater, en deux-deux, un dromadaire turc. La volaille le file toujours, à ce qu’il a pu voir. Et Tony, lui, escalade maintenant les premiers blocs de caillasses. Il ne tarde pas à le rejoindre : le Jap s’est planté, comme prévu, perché sur le plus haut des rochers. Et il scrute l’horizon. Où que porte le regard, le soleil incendie, au lance-flammes, le désert. La brume de chaleur fait onduler, au fond, les courbes océanes d’immenses dunes en toon-shading qui lèchent, sans fin, le bleu roi de l’azur. Au sommet du tertre, Tony jette des coups d’œil plaintifs à sa jauge de réseau.
– Je n’ai, tu t’en doutes, aucune idée d’où on est. Alors c’est même pas la peine de commencer à poser tes habituelles questions à la con... Mais, par contre, y’a un machin là-bas. On dirait un gouffre, ou un truc du genre. Ça m’a tout l’air tout à fait énorme. Et y’a une fumée gore qui en sort. Et d’toute façon, partout, à gauche à droite, y’a que du sable. Alors, je sais pas pour toi, mais moi, je fous le camp là-bas, direct. Indi suit son regard, opine du chef, mais lui montre Gilles de Rais, derrière, à un jet de pierre, qui commence à gravir l’enchevêtrement bordélique de cailloux. La poulaille leur crie de l’attendre, s’il vous plaît, mais ils n'en ont pas du tout, mais alors pas du tout, envie. Et Tony a vite percuté que le mecton tout mal fringué n'était pas ce qu’on peut appeler un ami. Le jeune hacker rockeur lui balance un «casse-toi poulet, démerde-toi tout seul» , décoche quelques rochers outrageux dans sa direction, puis met les bouts, tout droit en direction de la béance au loin, qui crache, effectivement, trois panaches inhabituels, lourds et noirs.
En s’en approchant, d’un pas alerte, Tony et Indi, et le flic éconduit, qui les suit toujours, observant maintenant une plus sûre distance de sécurité de niveau 3, pigent que ce qu'ils avaient pris, à première vue, pour un simple gouffre, est, en réalité, une grande carrière de craie étagée, qui s’enfonce sous la surface. Avec plein de niches troglodytes creusées dans ses parois beigeasses. Un sentier en spirale colimaçonne le long de la roche dynamitée. Et le tout forme, vu de plus près, comme une espèce de gros demi-cocon pas très discret.
C’est pas leurs battements de cœur, mais bien des tam-tams, qu’on entend. Le fond de l’abîme est, lui, fait d’un faux plat rocheux, crayeux, sur lequel toute une foule grouille, autour de gros chariots de bois. Des émanations désagréables de combustion d’hydrocarbures bombardent les narines et assaillent les papilles, dès qu’on s’approche des abords du grand trou. Ça fouette ! Tout en bas, ça flambe aussi, dans trois gros barils noirs : c’est ça qui pue comme ça. Au début du sentier, large comme deux Twingos, à côté d’une ossature massacrée de food-truck, un vieil écriteau planté penché, en planches de pin canardées vermoulues, informe : Mororkonn, sitai dé sables, gribouillé à la bombe noire par un parkinsonien stade terminal. Les trois gus observent quelques instants ce bled pourri, tout à fait anachronique, de leur perchoir privilégié, qui offre une vue en plongée, imprenable, sur tout ce bruyant petit monde attifé Les Halles 2027. Des fringues qui auraient sans doute pu passer quasi-inaperçues, dans n’importe quelle métropole de l’axe du bien du vingt-et-unième siècle. Si elles n’avaient, chacune, été surusées, déchirées, exceptionnellement cradingues, et toutes maculées de taches variées indéterminées. Une scène de vie étonnante, des animées s’il en est. D’où se distinguent, quand même, de l’incroyable pagaille diaprée de formes multicolores, les omniprésents bidons agonisants, tout un tas d’artefacts métalliques, carcasses nazes dégradées de l’ère technologique, parfois recombinées-recyclées pour quelque usage obscur. Et aussi les innombrables logos street & sportswear, semi-effacés, estampillés sur les loques élimées d’une populace tapageuse de sauvages, aussi agités qu’éclopés. À l’hygiène ultra douteuse. Le short une jambe fait fureur, cette année, chez Barnum. Une bonne moitié de la surface au sol abrite une pseudo-imitation de marché artisanal, où des vendeurs aux chicots effrayants hurlent à plein poumon, et à tue-tête, leurs promesses incompréhensibles. Sans trop parvenir à couvrir les roulements assourdissants de quatre gros djembés, maltraités par une horde d’Iroquois super vénères. On y voit maints produits changer de main, dans un tribut manifeste au système D. Il y a des lézards mastoc, verts tigré, qu’une espèce d’ogre chabin, avec un nez de phoque comme on n'en avait plus vu depuis Pasqua, les bras cloqués de jolies pustules éruptives tricolores – du genre qui jutent – déleste vite fait bien fait de leurs tripes, avant de les échanger contre d’autres denrées à l’air tout aussi peu comestibles. Les gros sauriens éviscérés sont ensuite délicatement embrochés, puis balancés à frire sur les grands barils en feu, sous une banderole jaune froissée où on peut déchiffrer un «Mgambo» en caractères laitue déliés, entre deux croquis bâclés, foirés – ou croqués par Reiser – de reptiles enroulés.
Delicatessen.
Des mouflets, ou peut-être des Hobbits, côtes saillantes, et, comme de bien entendu, noirs de crasse, chahutent au milieu de la foule. Une variante de ballon prisonnier, faut croire. Avec, comme ballon, un chat crevé. On troque, ici, ce qui aurait pu être le contenu intégral d’une décharge publique du siècle dernier : Épaves altérées d’objets ménagers d’époque, bouteilles en plastoc multimillénaire déformées, pleines de potions, mélasses et autres décoctions aux drôles de couleurs chimiques pas très engageantes, voire carrément rédhibitoires, BMXs tordus, incomplets, rafistolés, tout droit sortis du pléistocène, carcasses troniques aux designs étranges, aussi, plutôt inquiétantes, faut avouer, ferrailles froissées, démantibulées, de robs militaires corrompus, bidons et jerricans du précieux or noir, mais aussi des êtres humains, enchaînés, nus, ou en simili hardes. Même un cadavre, tout livide, la peau sur les os, langue dardante, globes vitreux exorbités, achève de flétrir, recroquevillé ratatiné, dans un carton volumineux posé par terre, entrouvert.
Oui, décidément, tout, mais surtout n’importe quoi, peut s’échanger, ici, dans la décadente et désinvolte cité des sables. Dans une puanteur écœurante de fin du monde. Et un vacarme à réveiller les morts.
○
Les niches qui se sont annexées à la carrière doivent abriter une bonne centaine de familles indigènes. Mais la présence des chariots, et des gros bots tracteurs immobiles, atteste du débarquement tout frais des bruyants marchands dans la place, animant ce clan hétéroclite de cul-terreux, dépenaillés et pouilleux, qui a quitté, un temps, les cloaques ombragés de son microcosme domestique, pour un cérémonial, aussi tumultueux qu’anarchique.
Des trois nouveaux venus, le plus curieux de découvrir, de plus près, cette improbable, et si braillarde, cour des miracles, c’est le Adolf, qui pénètre, le premier, sur le chemin de gravillons qui s’enfonce downtown, sous cette terre contaminée. À la suite d’un quidam avec une dégaine de mage New Age, en nurka mitée à capuche, couleur bouse de vache, et tongues assorties, accompagné d’un yearling splendide, robe nuit, dont la patte postérieure gauche a été remplacée par une prothèse, plutôt insolite, faite d’un alliage oxydé, poli, éraillé et gauchi par les années. Le pur-sang à la crinière rongée trimballe, sur son dos, tout un tas de sacs poussiéreux, usés jusqu’à la corde, aux couleurs passées, qui doivent, à coup sûr, contenir la somme exacte – donc lamentable – des possessions du keum. L’acier greffé corrompt quand même pas mal la gracieuse symétrie naturelle de l’étalon. Le duo cybertisé vient, à l’instant même, de s’engager, d’un pas nonchalant, sur les gros graviers.