Astronomy domine
«Lilith ?» Clong . Clignement oculaire. Une aurore boréale, de toute beauté, s’est invitée à l’intérieur du cockpit.
«Lilith ?» Clignement oculaire. Inimaginable. Chaque étoile est plus proche. Un peu.
«Lilith ?» Clong . Un cognement, régulier, toque, à l’arrière.
«Lilith ? Vous me recevez ?» Les trois immenses réservoirs se barrent, dans les règles de l’art. Nous ne sommes maintenant plus qu’une insignifiante boîte Kinder, papale édition, balancée dans les profondeurs de l’éther.
«Lilith ? nous recevez-vous ? »
Tony réagit
– Ici Lilith. C'est OK. Tout le monde va bien ?
Clong. Le cognement régulier.
«Lilith ?»
– On est là ! Vous nous entendez ?
Clong.
«Lilith ?»
– Et merde… tout le monde va bien, là-dedans ? Deux « OK » velléitaires, puis un «Ooh», pas vraiment rassurant, sont prononcés dans l’habitacle.
«Lilith ?»
– Bon, Isenhar, si vous recevez, on est en route les gars, vous avez géré !
Clong . Tony semble galvanisé par l’apesanteur. Alors que les trois autres sont encore, clairement, dans le coaltar. Sonnés par les G. Affalés dans leurs – avant-gardistes – barbidus fraise hyperlaxes.
– Isenhar, si vous nous recevez… d’où on peut le voir, notre trajectoire a l’air OK. Par contre, y'a un hic. Une avarie extérieure. Un cognement régulier, exaspérant, qui tambourine derrière nous. Au niveau, à peu près, entre les couchettes et le bozotron parasitaire.
Clong .
– Quelque chose qui paraît désolidarisé, à l’extérieur de la coque…
«Lilith ? Vous nous recevez ?»
Clong .
– Isenhar, je corrige la trajectoire en L1.
Indi essaie de repérer l’origine du cognement, en réorientant les cams externes. Le cosmos aux teintes carbone est enivrant. Indescriptible de beauté. Il s’offre à leurs yeux, procurant une sensation d’inanité infinie – dont on ne retrouve l’équivalent, dans tout l’univers, qu’au fond du regard glaireux des petits magistrats de province, au moment du prononcé de la sentence. La leur.
Mais, déjà, les cams arrières dévoilent la terre. Qui s’éloigne, peu à peu.
La planète verte.
Clong.
Une palette ravagée de verts, et de jaunes. Tout un poème. Les quatre ont les yeux rivés sur ce plan, tout simplement atroce. Verte, jaune et quelques, trop erratiques, traînées blanches. Et l’astre des nuits, bouffi, qui apparaît dans leurs visières, et se marre, des funérailles prochaines, avec son gros œil Tycho. Lui qui, depuis fort longtemps déjà, gravite tout gris. Les «Lilith ?» ont disparu. Pas le cognement enquiquinant. Le Japon a disparu lui aussi, totalement submergé. Littéralement rayé de la carte. L’Australie est franchement transformée, elle, ma foi. L’Afrique… Putain de bordel de sa mère de Nom de Dieu de merde ! l’Afrique s’est déplacée. Ce con de Cap est sous les glaces !
– Ça craint vraiment, là ! C’est Tony, les yeux braqués sur la une, indiscrète, qui filme sa planète à l’agonie.
– Qui a bien pu vouloir ça ? s’interroge Iliah, qui se souvient de la mappemonde correctement colorée, qu’elle a aperçue chez Powder. Et des vidéos rescapées, qu’elle a matées en classe.
– Ça explique l’amplitude exceptionnelle des marées méditerranéennes, observées par les climatologues du Har, et ses alguiers...
Ce n’est ni plus ni moins qu’un microscopique corpuscule d’ambre, exilé dans l’immensité d’antimatière absorbée par le trou noir supermassif au centre d’une quelconque galaxie d’un quelconque faubourg de l’Univers. De partout, les soleils lointains brillent dans la nuit. Le cosmos, hypnotique, se rit des affres lilliputiennes. Leur astre en syzygie, lui, se tient, bienveillant, dans leur dos. Pour l’instant…
Débarrassée de ses gros propulseurs anaux, la capsule cylindro-conique entame sa route elliptique, vers l’intriguant satellite. Les télécoms sont, pour le moment au moins, KOs. Mais les autres constantes ont l’air plutôt OK. C’est déjà ça. L’apesanteur fait voleter les cendres bouclettes clairsemées de Xavier, et arrondit encore les proto-barba papas translucides. La grande visière encadre Laniakea, qui souhaite la bienvenue aux barbouzes célestes, de ses blanches guirlandes scintillantes. Les combis transparentes défroissées flottent dans le vaste habitacle, et Iliah a entrepris, en lévitant, un check-up complet de l’espace habitable. Indira a, quant à lui, enfin localisé l’origine du bruit crispant : un des tuyaux extérieurs qui abritent les fibres optiques, qui relient l’antenne et le lidar de nez aux hyprocs, dans l’armoire à l’arrière, a été sectionné net. Et rebondit, maintenant, contre le fuselage, d’une toute sidérale régularité. Sans doute un ultime souvenir, légué en guise d’adieu, par vous savez qui. Qu’ils ne pourront pas réparer avant l’alunissage. Et, sans doute, pas réparer du tout. Les dégâts infligés expliquent clairement leur incapacité à émettre. Mais le silence d’Isenhar n'en reste pas moins, lui, éminemment inquiétant : les modules de réception de Lilith ne semblant pas avoir été endommagés.
– En tous cas, c’est plus spacieux que notre tente, remarque Iliah, qui trifouille toujours, on ne sait pas trop quoi, au fond de la cabine.
– Xavier, tu dois être déçu de t’éloigner de ta douce et chère. Te fais pas trop de mouron, et garde espoir. De toute évidence, ils vont se débrouiller, là-bas en bas. Et nous, comme d’hab, on va gérer, te bile pas. Tu peux toujours compter sur tes Padawans, tu le sais !
Et elle vient toper son poing ganté contre celui du vieil Hartronaute. Puis elle dépose les armes, s’allonge, et se sangle, en préparation d’une sieste matinale, bien méritée. Équinoxe, le petit lidar à combustion exogène expérimentale de blalgue fermentée, satellisé par un des lancements de test, est toujours fonctionnel. Et les infos streamées à leur aérolithe aident les hyprocs à effectuer les réajustements, en temps réel, afin d’éviter toute collision avec l’univers de débris, aussi bien artificiels que naturels, qui pourraient, dans leurs orbites douteuses, croiser leur chemin. Indira observe, sur les grandes holotablettes, les équations cabalistiques, et les trajectoires précalculées, qui ceignent l’habile slalom de leur boîte d’allumettes. Lilith n’est pas, stricto sensu, une descendante légitime d’Ariane et Soyouz. Quelque chose d’indescriptible, d’indicible, anime la techno de pointe qui les entoure. Le génie pratique des cortex auto cognitifs écrase, platement, le concept même des vieux Intel. L’interface s’en trouve elle aussi, d’ailleurs, chamboulée. Contrairement au pingouin aux fenêtres, ou au droïde qui a croqué la pomme, vous n'aurez, ici, jamais, à demander deux fois la même chose à vos bécanes. Maline comme une machine. Désormais passé la lentille ionosphérique, et sa nébulosité, les trois cams avant diffusent un panoramique, pur et cristallin, de la surface lunaire. Grêlée de ses cratères, et quadrillée – oui, c’est bien ça : quadrillée – de ses champs de panneaux solaires. Zee avait touché dans le mille. Que vont-ils donc trouver, là-haut ?
Quant au canon stellaire, il mitraille, toujours aussi assidûment, sa planète mère. Fort heureusement, de trajectoires plus rectilignes, qui ne rencontrent pas celle de leur boîte d’allumettes. Dans le vide, totalement privés du scintillement atmosphérique, les flashs blancs chroniques n'en sont que plus éblouissants. Comme si quelque force divine voyageait, à vitesse lumière, à travers le système solaire.
Iliah ouvre les yeux, dans son lycée. Au clair de lune de son dortoir glauque. Elle se redresse, puis se lève. Sapée de son, trop grand, pyjama blanc. Et sort, dans le couloir. Tohan est là, en face d’elle. Vivant. Il la regarde d’un air curieux, qu’elle ne lui connaît pas. Qu’est-ce qu’elle fout, d’abord, en pyjama, dans le couloir ? s’étonne-t-elle. Tohan ouvre la bouche, au ralenti. Et la montre du doigt. Ce n'est plus Tohan, mais plutôt Indira. Qui ouvre la bouche. Ah, non, c’est de nouveau redevenu Tohan, prêt à parler. À faire entendre, enfin, sa voix. Mais c’est un râle, guttural, qui fait vibrer l’oreille interne d’Iliah. Tohan-Indira se décompose, maintenant. Des plaques enflammées apparaissent, dans ses mèches. Tandis que ses joues se désagrègent, par endroits, spontanément. Des lombrics, roses et grassouillets, sourdent de sa gueule béante, tandis que quelques asticots blancs, plus discrets, émergent de ses narines gangrenées. Un groupe d’autres affreux jojo, flous et mal définis, avec ou sans tête, s’approche, en arrière-plan. À leurs mouvements, discontinus et malaisés, ils tentent, apparemment, de remporter la Zombie Walk. Cette bande de débris ambulants s’approche de la jeune fille. L’air un tout petit peu affamés. Elle se retrouve maintenant assise, au volant d’une valicule Milienne. Un engin en plastoc qui, d’ordinaire, se conduit tout seul. Mais à qui il vient, là, comme par enchantement, de pousser un volant de Civic. Tohan-Indi-zombie, et sa bande, s’approchent toujours, tout en boitillant, grognant. Et voilà que Tony vient d’apparaître, juste à l’instant, à la place du mort. Et la dévore des yeux. Comme si elle était belle à croquer. Style un gros fruit mûr à point, ou, mieux : une entrecôte cuite à cœur. Sa mâchoire saille, sous ses joues décharnées. Et une épluchure de lèvre inférieure pendouille, sous sa canine gauche, qu’il a, d’ailleurs, longue et pointue : son copain écorché vient, visiblement, de se bouffer lui-même le visage, dans un acte d’autocharcuterie évident, complètement insensé. Alors elle se réveille, en nage, déboussolée.
– Ça va, sista ?
C’est Indi, le vrai. Un peu gêné, lui, de s’être retrouvé, soudain, surpris, à l’observer, à son insu. Alors qu’elle pionçait. À l’avant, Xavier l’outsider a droit à un cours de rattrapage accéléré, de la part de Tony, professeur es astrodynamique appliquée. Qui s’est révélé passionné, dès le départ, et au plus haut point, par le sujet. Iliah tend la main, dans l’espace vide qui sépare les deux couchettes molletonnées. Et reçoit l’étreinte des cinq doigts d’Indira.
– On y est, sœurette , il fait, à mi-voix. Tu te rends compte ? Notre premier pas, dans la Voie lactée. Je suis heureux que tu sois là. Et, dorénavant, peu importe la fin…
Puis, après un silence, du bout des lèvres :
– Au fait, le truc noir tout zarbi qui bouge, sur le pif de Pétra, c'est quoi ?
– Un œil, je crois.
Les voyageurs reprennent, rapidement, leur rythme de croisière. Le train-train quotidien, on the road again. Il y a trois mois déjà, ils dodelinaient, sur les longs bras de bois de XO. Maintenant, ils ont l’impression, persistante, d’être projetés dans Star Trek. Dans le cockpit, haut de gamme, de l’USS Enterprise, version 17. Mouture rouge et noire, celle-là. Devant leurs yeux, les heures, dans leur course inexorable, s’égrènent. Et meurent. Ils ont passé tant de nuits, déjà, à avancer sous les étoiles. Ce soir, cependant, ils ont clairement franchi un cap : ils avancent dans les étoiles. Puis, à H+36, la visière se voile. Les nanites recouvrent le verre. Le noircissent, comme autant de pixels morts. L’éclat du soleil apparaît aux fenêtres. C’est alors l’instant optimal, d’après les hyprocs en tous cas, pour déclencher les propulseurs Vernier à HTP, et entamer le retournement, en vue de la décélération, et l’alunissage, prochains. Manœuvre en hémicycle des plus aisées, pour un cône de métal blindé. Un peu moins, pour des créatures faites d'un gloubi boulga d’organes entremêlés. Disons qu’après, c’est sûr, les Rollercoasters de mes deux de Mickey auront, irrémédiablement, perdu leur intérêt. De la balle ! Évanouissement assuré. Avis aux amateurs : une tuerie. Record absolu de Xavier, 1 h 45 de coma. Avec force ronflements inclus. Presque inquiétant, tout de même. C’est maintenant les cams arrière qui affichent les trois pieds noirs de la grosse Lilith. Et Astarté, qui grossit, inexorablement. Chute libre. En marche arrière, ils survolent, en périphérie des champs solaires, deux scintillantes grues altières : les tétraèdres de Zee.
– 15 mètres/seconde. Trajectoire idéale, exemplaire, annonce Tony. Ciel dégagé, arrivée à 17 L 57. Terminateur à 366 kilomètres. Nuit lunaire calme. Vent inexistant.
Le pilote fait son coq. Un peu plus au sud du point d’impact planifié apparaissent les quatre édifices principaux, et les canons noirs ultra-profonds, en construction.
– Deux mille mètres du point d'alunissage. Température au sol -135°. Plus aucune vue sur la Terre. Vitesse de descente de treize mètres seconde. Décroît stable. Idéale. Hoho... Voyant rouge, là. On dévie superficiellement de notre trajectoire.
Lilith essaie de corriger, ça tremble.
– Houston, on a prob…Aïe. Aïïïee. Putain, les poteaux, cramponnez-vous. Houla ! Cramponnez-vous bien ! Viteuheuh !
Impact.
Sans blague, le prochain trou du cul qui osera affirmer qu’il n'y a jamais de boucan dans l’espace. OK, à l’extérieur, peut-être. Dehors. Certes. Mais là, la pauvre fusée s’est carrément ramassée. Pour rappel, pour pouvoir envisager de redécoller un jouant ou l’autre, l’alunissage était censé de préférence se faire debout, Fusée !
– Bon, je crois qu’on va avoir du mal à déluner, les gars, constate Iliah, stoïque.
– Bingo ! Coordonnées d’alunissage optimales, au poil ! raye Tony, goguenard. Et il éteint, en tapotant, les grands alloécrans.
Leur jument de feu est parvenue à bon port. Pas dans la position prévue, soit.
– À part ça, elle n'a pas l’air trop trop amochée. Un peu froissée, peut-être... commente Xavier, blasé, en se déceinturant du gros chewing-gum fraise moulu.
– On avisera plus tard, allons faire un tour dehors, d’accord ? Au point où on en est, de toute façon… Si j’ai bien suivi Doc Tony, nous devrions trouver le module d’excavation principal derrière la butte, tout là-bas ?
– C’est exactement ça, confirme l’astrolama autodidacte averti, de ses dix-neuf ans de certitudes sélénologiques absolues.
– À 2 miles - 2 miles 5 environ, pas bien loin.
Leurs gentils organisateurs haryens n’ont pas inclus de Rover, fallait pas trop rêver non plus. Ils sont bons pour se coltiner le trajet à pied. Mais d’abord, repas sur le pouce, sphérique et coloré : M&M’s. Et amanite menthe, en dessert. Pour une vision acérée.
○
Tchoc . Mise en place des casques, les énormes bulles de plexi. Quatre poissons rouges dans l’espace. Ouverture du sas sur les étoiles, plus proches. Si si, puisqu’on vous le dit, bordel de merde. Leur foutue marraine jaune est, juste, énorme, vu d’ici. Sous sa lumière, les arêtes, déchirées, du gros cratère Arzachel, au fond duquel ils sont tombés, rappellent, à bien des égards, celles du volcan sans nom. Mais style photocopiées, en noir et blanc, celles-là. Inutile de s’éterniser sur les différences, rabâchées, de gravité : tous s’y laissent prendre, s’étant crus un tant soit peu préparés. Quatre belles et franches gamelles au ralenti, oui ! Heureusement, les scaphandres en plastoc tiennent le coup, et compensent bien, en plus, le froid de canard laineux, qui règne à l’extérieur. On doit pas être loin du zéro absolu, là. Noter de féliciter le tailleur. Au retour…
En cinq minutes à peine, ceci dit, ça y est. Ils marchent. Et c’est jouissif. Enfin, ils sautillent, en planant. D’un air aérien, sans air. Une inspection extérieure minutieuse de Lilith confirme la première hypothèse de Xavier : un peu froissée. Pas tip top. Y’a une espèce de poussière noire, clairement minérale, sur le régolithe. Qui se comporte vraiment étrangement. Pas moyen de savoir si elle touche lune. Elle paraît plutôt flotter en suspension. Comme une brume impalpable, mais épaisse et matérielle. Qui reste confinée, à 1 pied du sol. Du sable lunaire.
– Pas sûr que c’était là avant, ça, observe Tony.
Il n’y a, effectivement, aucun bruit. Sauf celui des voix cristallines des astropithèques, qui jaillissent des invisibles haut-parleurs internes quadriphoniques. Et celui de leurs respirations, chronométrées. Soumis à cette gravité fainéante, les frisottis cendrés, d’habitude déjà indisciplinés, de Xavier, ont décidé, ce coup-ci, de finalement s’organiser en désordre tranché. Son scaphandre est une bombe à retardement électrostatique, c’est clair. Genre cage de Faraday.
Dès le passage du col, apparaissent, au Nord, les champs immenses de panneaux solaires, qui se perdent à l’horizon courbe, à deux ou trois kilomètres. Et, droit devant, une espèce de bunker bolchevique tout noir, type pyramide néo-maya. Une grosse usine Rhône Poulenc, tubulures et tuyaux en moins. Comme si Tchernobyl avait tenté de fusionner, sans autorisation préalable, avec la Mecque. Dans un amalgame concaténé zarbi. En résulte un hybride contre nature, inachevé et mélanistique. En tous cas, on dirait bien que c’est le rade du coin. Et ma parole, y'a même de la lumière. Un fanal vertical bleuté planté, juste devant l’obscur bâtiment.
– Vous croyez que c’est habité ? s’inquiète la Milienne au crâne rasé.
– Vu la tronche du truc, je dirais plutôt hanté, moi. Des luniens, peut-être…
– Certainement un PNJ, déclare Tony.
Woush ! Pas de son, mais le cœur y était. Un méga éclair vient de déluner. Ils posent, neuf minutes, leurs fesses, dans la poussière en lévitation, pour ne pas rater le suivant. D’après ce qu’ils viennent tous d’entrevoir, les gros rayons argentés proviennent d’au-delà du bâtiment noir bizarre. Les silos doivent donc être par-là, mais restent invisibles. L’horizon est désespérément proche : un dixième de degré à peine. C’est impressionnant. D’être sur une microplanète. Ils prennent même le temps d’observer, une troisième fois, le canon métronomique, qui crache ses éclairs puissance 10, au lointain, avant de reprendre, enfin, leur excursion, tonique et bondissante. Un peu gonzo, diraient certains. La pyramide noire n'est plus trop trop éloignée, maintenant.
– Qu’est-ce qu’on fait, si on trouve une porte ? prévoit Indira, on cogne trois fois ?
Ils ont quitté Lilith avec six houantes de réserve d’oxygène. Et n'en ont grillé qu’une, pour l’instant. Pour leur première expédition extra-terrestre, ils sont plutôt à l’aise, question air. Et ils pourront recharger les bonbonnes, normalement, quatre ou cinq fois. Plutôt Byzance. Cependant, l’attitude allongée de leur fusée est, il est vrai, assez problématique, et ne quitte jamais vraiment tout à fait, leurs pensées. Il faut regarder la réalité en face, pas besoin de rester dans le déni : Ils se sont bel et bien crashés. Ça s’appelle comme ça. Y’a pas à tortiller.
– Du sable en suspension, c’est exactement ça, que c’est, enchaîne Tony, en observant attentivement les volutes épaisses évoluer, en douces arabesques, qui ondulent sous leurs pieds. Un léger tremblement de lune, de magnitude 3,8 sur l’échelle d’Indy, les surprend, en silence et, par bonne fortune, sur un terrain plat.
– Qu’est-ce que c’est encore que ça ? s’insurge-t-il.
– Les éclairs qui rechargent ? hasarde Iliah.
– Mouais, ou alors, un quelconque forage, argue le Jap, faut bien que la chose qui squatte ici travaille le roc, pour fabriquer tout ça.
La pyramide est élevée, en tous cas. De huit à dix étages, selon les estimations, toutes plus bancales les unes que les autres, des sondés. Pas moins de trente mètres de haut d’après Thalès. Et y’a une entrée, incroyable. Mais vrai. Un orifice, enténébré, qui y ressemble un peu, du moins. Un ténèbre, au cœur même des ténèbres. La roche, puisque c’est ce que ça semble être, dont est bâtie la majestueuse structure, est d’un noir de jais. Et coupée à la serpe. L’archi du coin ne donne pas dans la demi-mesure. Et n'aime, visiblement, pas trop rogner les angles. Il fait dans le tranchant. Ni détail, ni fioriture. Pas le genre de la maison. Du tout du tout. En harmonie totale avec les ombres lunaires. Du flat design naturaliste, au rigorisme ultime et définitif, quoi. Pas loin du black art. Un marbre noir de Seyfert. Du cratère de Seyfert. Un haryen malin a eu l’ingénieuse idée d’intégrer une lampe plate sur leurs combis. Pile à l’emplacement du plexus. Fidèle à l’iconique Tony Stark, décidément. Mais rien n’y fait. Même le nez en plein dedans, l’impression ne change pas d’un iota : il y a là bien une ouverture, mais l’intérieur est tout aussi archinoir. Mode nuit. Même la fine épine bleutée de taille d’homme, piquée dans le sol, à dix pas de l’entrée, n'y peut que dalle.
– Ça ressemble à un néon, ce machin-là. Y doit y avoir du courant qui passe sous lune, je pense pas que ça soit autoalimenté, voyons voir de plus près… non…
– Tony, démonte pas l’oopart, s’te plaît, houspille Xavier en agitant l’index.
Le vieux, donc, ne se défera décidément jamais de ses manies pénibles de patriarche, rien à faire.
– Base Alpha, nous voilà !
Mais la référence de Tony fait un bide.