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Anonyme
26 Bassin bougon
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Les ultimes rayons de feu rasent les vagues veinées d’or sur lesquelles progresse pesamment, de sa démarche dégingandée, une très singulière forme insectoïde. Quatre maigres échasses, lestées d’un lourd amas bâché, dont la forme plus ou moins sphérique évoque assez un abdomen démesuré, en dessous duquel s’étendent quatre autres longues poutres horizontales, posées en diagonales, qui ploient sensiblement sous le poids des corps immobiles qui s’y sont calés. Les silhouettes en ombres chinoises montées en amazone, ou assises à califourchon, se balancent au rythme des pattes jaunies qui fouillent le sable vierge, d’un pas cadencé. Parfois, des cris stridents intermittents déchirent le silence du trésert, loin derrière les masses mortes ondoyantes. Nul ne pourrait affirmer avec certitude s’ils sont fauniques, volants ou bien alors rampants ou, et ce serait plus grave, humains. La fraîcheur toute relative du crépuscule est plus propice au dialogue. Sous les cieux immobiles d’une météo définitivement dégagée, les quatre routards partagent de simples moments de vie, découvrant chacun peu à peu l’univers inimaginable de l’autre. Les us édifiants de Miliance, comme ceux, pas si aux antipodes que ça, aussi impensables et tout aussi terrifiants, du Paris de 2030. Iliah est assise derrière Indira, et ses grands yeux noisette s’égarent malgré elle sur la silhouette rebondissante du beau gosse déplacé, qui a enfin lâché son vieux cuir cheap et dévoile maintenant son dos fin moulé sous un t-shirt uni noir, bien plus appétissant que la garde-robe baggy uniformisée et pas très flatteuse de ses concitoyens opprimés. La conversation du clan se focalise un temps sur le principal : la pitaille. Xavier sait de source sûre que les barres croquantes sont constituées de gros coléoptères qui pullulent encore par milliers, près de certaines oasis, plus au Nord. C’est le 3 e régiment de l’ex-marine suisse qui assure leur distribution, en échange d’autres matières premières. La nouvelle n’enchante guère nos trois jeunes gastronomes, mais cela fait partie des nombreuses particularités de ce nouvel environnement. Et bon, y’a pas trop le choix, ils vont pas faire la fine bouche. Les choses étant ce qu’elles sont, faudra bien qu’ils s’y adaptent, concluent-ils, philosophes. Par association d’idées, Iliah demande de quoi est composée, du coup, la farine grise indigeste qui constituait l’ordinaire des nomades, qu’elle a maraudée sans pitié pendant trois bonnes semaines. Xavier feint d’admirer le paysage, se tient coi un chouia trop longtemps, rendant par là même son silence explicitement suspect. L’aïeul encapuchonné plisse les yeux, puis consent enfin à vider son sac, visage fermé et voix atone.
– Vous avez vu les hommes et femmes enchaînés, à Mororkonn… En ces périodes d’incertitude alimentaire, l’humain est devenu denrée estimable en ce bas monde. L’humanité en perdition y vit ses heures sombres. Vous pigerez, lorsque nous atteindrons Samalcande. Le diable en tous cas, lui, n’a pas perdu son temps.
La réplique énigmatique du vieux barbouze à capuche met quelques instants pour frayer son chemin, et faire sens, sous le crâne de la jeune fille. Le temps qu’un ange passe, en tenue de boucher. Et lorsqu’elle percute enfin, elle se laisse glisser sans tarder de son longeron, et une fois à terre, blafarde, s’étrangle puis régurgite la totalité de ses tripes, et quelques glaires, en 3 rounds bileux.