La maitre machine

27  

Isenhar

 

Another brick in the wall

 

 


 

  Malgré le chambard évident, les gens du coin avaient l’air, surtout, ravis, d’être enfin débarrassés des nuisances, quotidiennes, du yeti, aussi calamiteux qu’encombrant, dont Mâ les avait éprouvés, sans crier gare. Et, après une semaine passée auprès d’eux, à les assister, avec les moyens du bord, en réparation des impressionnants dégâts causés, les invétérés voyageurs ont repris leur chemin. Rassérénés, car enrichis de la certitude établie que leur quête ne serait pas vaine. Alléluia ! Il est désormais admis, une bonne fois pour toutes, qu’Isenhar n’est pas qu’une simple vue de l’esprit. Et que, d’ailleurs, c’est la grande tour, elle-même, à l’embouchure du Var, qui fournit les caravanes d’enfants, qui véhiculent les algues comestibles, du sud au nord du territoire.

  Puis, vite, revient la poussière souveraine, qui a, décidément, cannibalisé la planète, dans sa totalité. Et, graduellement, les, apparemment indissociables, dards ardents, redoutables, qui éperonnent, sans pitié, leurs pauvres crânes, déjà fort maltraités, sous le climat insoutenable des Fahrenheit.

  En empruntant les gorges asséchées de la Tinée, puis celles du Var, XO, toujours, leur manque. Mais vient le bonheur d’avoir enfin vaincu le supplice épouvantable des scolopendres sournoises, qui s’instillaient, chaque nuit, dans leurs os, dévorant pianissimo leur température, de leurs fatales morsures. Les explications des Larons avaient été des plus limpides : sans jamais s’éloigner des lits des deux ex-rivières, ils foulent maintenant du pied, sous le zénith, le corridor ensablé de feue la nationale 202. Entourée des ruines écroulées de Levens, sur leur gauche, et sous le Baou de Saint-Jeannet, La Gaude et Gattières, dévastées, à leur droite. Bien qu’encore un peu trop chargés, le temps de la descente, jubilatoire, bien connu de tous les randonneurs fourbus, sevrés des cailloux, heureux d’enfin rentrer au bercail, n’est autre qu’une récré des plus satisfaisantes. Pour ne pas dire savoureuse. Une jouante épiphanie, emplie d’un bonheur un peu naïf. Une vraie bénédiction, par les temps qui courent. Ils ont perdu, sur leur trajet, l’aigle qui les accompagnait, qui a sans doute déclaré forfait, face au poids d’Iliah – lol – et opté pour des cieux plus cléments.

 

 

 

 

  Alors la chose azurée apparaît sous leurs yeux. Molestant, de loin, la ligne d’horizon claire, de son incarnation ondulante franchement verticale. Et, il faut bien le dire, résolument futuriste. Une espèce de tour de Babel bizarroïde, effilée et dissymétrique. Une apophyse oblongue et design, haute de bien deux cents mètres et quelques. Qui reflète les rayons de feu, et accroche, sans indulgence, à son empennage démesuré, quelques cirrus fluets. L’illustre hyper architecture aurait presque pu sembler conçue pour passer inaperçue, au milieu de la Défense ou la City, à la belle époque où ces fières concrétions des temps modernes tenaient encore debout. Mais, ici, elle se distingue, sans trop de mal, des dernières collinettes discrètes, qui cherchent leur chemin vers la côte. À la lecture de leur vieille carte trouée, le quatuor pensait, d’ailleurs, au moment où ils ont aperçu la bizarrerie au loin, que celle-ci jouxtait le front de mer. Mais il n’en est rien : elle a été, en réalité, bâtie à quelques kilomètres du littoral. Le chemin, désespérément caillouteux, qu’ils suivent depuis deux jouants déjà, laisse place à une ébauche de sente de terre, très sèche, balisée de petits rochers roux dépareillés, qui coupe, en ligne droite, de vastes champs, qui ont l’air entretenus, et que le patriarche barbu identifie comme étant de blé.

  Iliah, qui a ressorti sa plus belle plume, n’a pipé mot. Franchement, elle a son lot des vannes à deux balles systématiques, et des calembredaines caustiques, quand c’est pas condescendantes, des deux pénibles. Mais bon, quand même, les trois espèces de XO bios énormes, à cornes ridiculement mal proportionnées, qu’ils viennent, juste à l’instant, de croiser, tout tachés bizarre blanc et noir, l’ont matée de travers. Elle en mettrait sa main à couper.

  Un peu plus loin, un cousin germain de leur kadru préféré recharge, peinard, au soleil, au sommet d’un bas cairn solitaire tout recouvert d’orge en fleur. Tous remarquent les essaims affolés qu’ils dérangent des broussailles, sur leur passage, et les batraciens fluo à grandes oreilles, qui se faufilent en bons astucieux, entre les joncs effilés. De l’eau irrigue ces lieux, inaudible, invisible, et pourtant bien présente.

  Ils croisent une dizaine d’atonos, tous jeunes et tous blancs, et tous beaux, qui dirigent deux gros chariots tirés par quatre ânes, qui font un concours de pets. La rencontre est brève et bon enfant. Les ados convoient sur Pritonque, puis Samalcande, plein de gros sacs de vingt kilos d’algues déshydratées compressées, qu’Isenhar leur fournit, en émoluments de tous ce qu’ils peuvent bien lui remmener comme trouvailles troniques inhumées, ou post-apocalyptiques. Les résidus robotiques délabrés de Miliance, par exemple, sont de fait un mets de choix, pour la vorace tour cité.

  Leurs jeunes interlocuteurs itinérants sont navrés d’apprendre que Laron a perdu une de ses deux cabines, devenue trop instable, après son lifting forcené façon M, et que le Laron express lui-même ne pourra pas redémarrer, avant encore au moins une bonne quinzaine. Mais ça n’ébranle en rien l’enthousiasme, et l’entrain évidents, avec lesquels ils entament leur transalpine traversée.

  Puis, à cinq cents mètres de l’ouvrage spectaculaire, nos invétérés trekkeurs tombent sur deux gros négros, torse nu jean-baskets, mode poivrots, posés sur deux gros cailloux tout plats, et, visiblement, sérieusement embringués dans une partie animée de dominos. Rien de bien surprenant, après tout, si ces deux emmerdeurs n’avaient décidé de se planter, comme de bien entendu, pile en plein milieu de la chaussée. Le duo rivalise quand même de muscles en tout genre, et le gros rasta à gauche vient de leur faire signe de patienter : ils terminent la partie. Paf. Paf. Paf. Pafaf. PAFPAF. Trois dominos foutent le camp dans la nature.

 

 

 

 

  Que passé zot, zot pèd dan zion là ? [18] raille l’espèce d’épais gnome malicieux gonflé aux lactostéroïdes, celui qui fait face au locké adipeux façon Régis Noah, en lâchant un mollard gluant rosâtre catégorie 3, variété lambi malade. C’est lui qui vient de remporter la manche, et sa tronche burinée s’en trouve, tout à coup, illuminée d’une grimace trop bizarre.

  L’autre rondouillard enchaîne : – On connaît tout le monde, dans le coin, et vous, on vous connaît pas. Pas du tout, même. Alors si l’envie confuse vous prenait, je sais pas bien pourquoi, de faire soudain les marioles, je vous prierai, avant ça, de vous fendre plutôt d’un coup d’œil, didactique, vers là-bas.

  Effectivement, dans les champs plats, sur leur gauche, deux structures cylindriques identiques brasillent dans les hautes herbes flagellées par la douce brise venue. Des toits de tourelles à hypercoagulation de neutrinos parasites de guano congelé premier prix Lidl, qui, à bien y regarder, sont braqués droit sur eux. Comme ça, les choses ont le mérite d’être claires : chaque joueur s’est chargé de son comptant de plomb.

  Le gnome reprend, maintenant paré de son plus beau sourire d’édenté :

  – Cela étant, on peut, je crois, vous laisser passer. Le Har cherche constamment d’la main-d’œuvre. Vous pourrez peut-être vous rendre utiles, qui sait ? Vous avez pas l’air bien méchants. Qu’est-ce t’en dit, Porcinet ?

  – Mouais, répond l’autre, Si vous aimez la mer, vous pourrez toujours aller bosser la blalgue. Et si jamais vous déconnez, vous irez même direct bosser avec la poiscaille, parole de Porcinet.

  Une question brûle les lèvres de Xavier, ce qui, soi-dit en passant, est ultra désagréable. Il n'y tient plus, on le comprend.

  – Messieurs, veuillez m’excuser, mais par le plus grand des hasards, n’auriez-vous pas entendu parler d’un certain Anton Petijean ?

  Alors là, les quatre yeux musclés s’hiboutisent en chœur : le gnome baraqué aux écoutilles décollées, et le gros balourd boudiné avec ses locks dégueu, dévisagent désormais les étrangers d’un œil des plus circonspects.

  – Qua voulé boug la? [19] fait Porcinet en se grattant le menton. – Ces messieurs dames sont de la haute, alors ? Pourtant, à vos loques, on vous aurait pris, facile, pour des gueux..., ironise le gnome crépu condescendant, qui mime une référence raffinée exagérée, et dessine, en même temps, de la main gauche, une élégante arabesque très compliquée. – Ayez donc l’amabilité d’avancer, gente damoiselle et nobles seigneurs : vous m’obligeriez.

  Voilà leur curiosité bien piquée : ces deux malins ont ouvert le checkpoint. Ça, c’est cool. Mais sans, pour autant, les délester de leur question principale. Le vieil Anton n'est pas inconnu en ces lieux. Soit.

  Mais putain, bordel, qu’est-ce que c’est que ces lieux ?

 

 

 

 



  À l’approche, formes et matières, peu à peu, se précisent : Le grand machin est, en fait, totalement quadrillé d’immenses baies vitrées, totalement dépourvues d’interstices, qui ne sont, en cet instant, que le reflet du couchant. Ce qui en fait, du coup, une forme ahurissante, qui parvient à dénaturer complètement son environnement, sans, aucunement, en altérer les tons. La base de la miroitante mégastructure est, elle, deux à trois fois plus vaste, formée d’un gros demi-tonneau de verre gonflé, de vingt bons étages de haut, qui explose, ensuite, de trois rudes imblocations étagées hyperprofilées, le tout coiffé d’un joli chapeau blanc scintillant, style tiare papale, oblongue et dépareillée complet du reste, qui évoque en fait, à bien y regarder de plus près, sans conteste possible, le nez bombé d’Ariane 6. Tout là-haut perché, le bidule paraît flotter, easy, dans le vide. Comme s’il planait au-dessus du grand séquoia aux feuilles de verre, qui reflètent l’éther, tirant profit des artifices de la grande valse céleste. Beau boulot ! À l’évidence, l’architecte super fertile n’a pu carburer qu’aux buvards, lorsqu’il a dessiné, dans un foncier mépris des canons magiques, généralement admis, de l’esthétique, ce phare phallique pharaonique, champion toutes catégories, au Hall of fame des monuments mutants les plus déroutants. Chapeau bas, l’artiste, ça déchire grave ! Truc de ouf !

  Là, une dizaine de charrettes toutes abîmées, et une meute de kadrus qui végètent, installés sur l’immense deck brossé, posé sur une aire défrichée, au pied de l’énorme truc. À l’est, sous son ombre, les vestiges, pas si proches, d’un stade de foot. L’air plantés là depuis la nuit des temps, et plus, et écrasés par la structure démesurée. Les vingt premiers étages de l’extravagant bâtiment forment, bel et bien, un fier patatoïde, lui aussi tout de miroirs couvert. Au niveau du sol, plusieurs ouvertures crèvent, avec un certain style, il faut bien le dire, le revêtement de vitres bombées. L’une d’entre elles, de format à laisser passer un A380, ailes déployées. À l’intérieur, on y entraperçoit, d’ailleurs, une très intrigante activité. Un malabar de ferraille, tout doré, style l'exo de Ripley, et quelques diables, tout rouges, achalandent des grosses caisses en ferraille. Par terre, des amas de feuilles mortes, des mottes de terre, et du purin, en veux-tu en voilà, troublent quelque peu l’aspect propret du lieu. De même que les relents de vieille avoine, qui dérangent, sérieux, les papilles. À proximité du dock géant, à sa droite, une double baie, à peine plus discrète, est gardée, elle, par deux australo patauds, mal rasés, au nez camus, en t-shirts blancs et jeans deux jambes propres amidonnés, et un grand gaillard blond, aux yeux polaires, la cinquantaine et les mèches franchement en pétard, à l’allure de boss hyperactif du CAC 40. Manque que l’attaché-case. Le gars, complètement anachronique, se trémousse sur ses deux brogues, tout en taillant le bout de gras avec les deux primates prognathes apprêtés. Tous trois ne lâchent cependant pas du regard les nouveaux venus en approche, sur le qui-vive, mais les jambes en compote, quand même bien bien crevés de taper la route. Il semblerait que leur arrivée ait été annoncée...

 

 

 

 

  Ainsi, Jack Py, le devin d’Utrecht, disait vrai ! La voix a surgi dans leur dos : c’est Xavier, et son lourd paquetage, restés un brin en arrière.

  – Ça, j’y crois pas, t’es en vie, mon vieil ami. Il y a des moments, comme celui-ci, où la vile Aldébaran nous fait grâce de ses voluptés les plus improbables. J’avais presque perdu tout espoir, d’un jouant te revoir !

  Les deux gugusses s’étreignent, long et fort, et ni l’un ni l’autre ne peut retenir ses larmes, devant les trois jeunes tout émus, et les deux grooms mal accoutrés, que leur mimique attendrie rend tout particulièrement laids. Pauvres preuves hideuses, mais formelles, car si flagrantes qu’indubitables, de l’absence avérée de chaînon manquant au sein de notre profil phylogénique. Adam et Eve et tout le tralala ? Mais oui, mais oui : mon cul, oui.

  – Mes amis, soyez les bienvenus à Isenhar, l’aventure la plus timbrée de l’humanité, depuis que les actions Disney se sont, une bonne fois pour toutes, cassées la gueule. Retenez un temps vos questions, prenez donc d’abord celui de vous installer. Offrez-vous une douche aussi, et je vous en prie, ne lésinez vraiment pas sur le savon, OK ?

  Anton conclut sa tirade d’un clin d’œil connivent, et les entraîne à l’intérieur de l’étrange building, dans un somptueux atrium au sol fait d’un similimarbre matifié, coiffé d’un grand plafond de verre, consolidé d’acier, qui les surplombe, aussi élégant qu’arrogant, d’à peu près cinquante étages.

  Oui, c’est une petite ville intérieure, tout à fait incroyable, qui se dévoile à leurs yeux. Deux dizaines d’ascenseurs vitrés véhiculent des petits groupes de costards. Hommes et femmes fourmillent, vaquent à leurs occupations quelles occupations ? dans cette exceptionnelle galerie de miroirs.

  Climatisée.

  Tous, à l’image d’Anton, sont sapés à la manière de ce qu’on aurait pu, sans difficulté, croiser, dans n’importe quel centre d’affaires globales du début vingt et unième. Au milieu de cette improbable tribu d’hipsters manucurés, emmanchés tailleurs cravates tout droit sortis d’usine, dont tous dépassent de loin la trentaine, les jeunes têtes brillent, cependant, par leur absence. Les tumeurs mutantes rebutantes et autres symptômes verruqueux, et les restes rares de dentitions délabrées, aussi, d’ailleurs. Ceux-ci n’ont pas l’air de freaks irradiés dégénérés. À première vue, du moins.

  – Nous avons mis pas loin de dix ans, pour achever cette aberration visuelle absolue. Vous allez rapidement capter, vous en faites pas. Mais sachez, d’ores et déjà, qu’Isenhar loge, au bas mot, un effectif de croisière de mille cinq cents haryens. Et que chacun d’entre nous est employé, d’une façon ou d’une autre, à la concrétisation du même rêve fou, que nous partageons tous. Tous, ici, sommes concepteurs, comme constructeurs, animés du même feu sacré !

  Anton les a conduits, d’un seul pas, dans un des grands ascenseurs. Puis le long d’un long couloir tapissé d’une épaisse moquette couleur Mercure, et exhibe, maintenant, l’une après l’autre, quatre splendides suites, éclairées par d’immenses baies vitrées, qui s’ouvrent, à bien cent mètres au-dessus du vide, sur le crépuscule des champs de blé, la mer Méditerranée au loin, et sa frontière en pelotes scintillantes. Une vache de vue à couper le souffle, putain !

  Tout sent bon, tout est enveloppé de fraîcheur artificielle. C’est chié : y’a même des toilettes. Un ersatz de bakélite lactescente, aussi lisse qu’une putain de coiffe de carmélite, incarne le revêtement standard de chaque objet. Du combiné d’interphone à la poignée de porte, du sommier au pommeau de douche. L’air est filtré avec goût, parcimonieusement parfumé de suaves fragrances chimiques de niaouli d’Ushuaïa. Tout témoigne d’une même exigence de qualité. Clean. Les trois plus jeunes ont l’impression, unanime, d’émerger d’un même très très mauvais rêve. Mais pas tout à fait.

  – Y’a pas, c’est agréable, quand même, de retrouver un toit immobile sur sa tête... note Iliah, ...et l’air atomisé des machines.

  Ils sont attendus, après décontamination, dans la chaire des Mousquetaires, leur a annoncé Anton. Au sommet de l’immense édifice. Dans le saint des saints.

  À la bonne houante, le comité d’accueil, sourcilleux, décidément soucieux du bien-être de ses nouveaux invités, a également garni, à bloc, les armoires, de plein plein de trucs prêts-à-porter variés. Tous, rapidement décrassés puis apprêtés, astiqués comme des sous neufs, s’engouffrent dans le grand ascenseur transparent. Xavier pète le feu, il a même tenté de se coiffer, pour une fois, et du coup il n'a plus tout à fait l’air du poisson-grenouille auquel ils s’étaient habitués, ainsi endimanché dans sa chemise de flanelle, et son beige futal repassé. En pressant délicatement le bouton 80, il arbore un sourire coquin de gamin, mangé par ses bouclettes démêlées. Iliah, quant à elle, resplendit dans sa ravissante, mais interminable, robe noire à franges, tout ce qu’il y a de plus flamenco, qui l’empreint de grâce, nu-pieds. C’est ses deux potes facétieux, tout frais tout pimpants, en jeans et protonikes neufs, qui l’ont suppliée de se fringuer de la sorte, si on peut appeler ça fringuer, alors évidemment, comme d’hab, elle a accepté, sachant pourtant très bien, les connaissant comme elle les connaît, que c’est très probablement une trèèèèès mauvaise idée. Ses pupilles espiègles pétillent, sous les innombrables reflets dorés, qui lui font autant de soleils aux coins des yeux.

  Ils traversent la verrière monumentale, comme s’il s’agissait là de la surface plane d’un lac d’or. Tony marmonne dans sa barbe «Up the pole and out the smoke hole», puis la cabine, d’un bip rond, harmonieux et total rassurant, les introduit au centre même d’un vaste open-space. La grande pièce est sertie, elle aussi, de baies vitrées, des murs aux plafonds, en un cylindre d’une base de trois bus carrés, qui offrent une vue intégrale sur l’opulente ville verticale. Isenhar finit de s’agiter, et entame sa soirée sous leurs pieds. Deux wagons, mignons, viennent à l’instant de pénétrer dans la cité, mais il y a aussi de nombreuses fourmis qui rentrent à pied...

  Comment ont-ils pu reconstruire tout ça ? Ça passe l’entendement. Hollywood 2057, qu’on dirait. Une véritable épuisette percée à superlatifs suprématistes, oui. Et là, tout à coup, leurs yeux se figent. Pour compléter ce tableau futuristique, déjà dément, à gauche du bureau autour duquel campe Anton, accompagné d’une brune fatale et deux types costumés souriants à pleines dents, derrière les larges baies, sous le crépuscule outre-mer Méditerranée, ils viennent de repérer un fuselage blanc parfait, au gabarit impressionnant, bien entendu coiffé du fameux chapeau d’Ariane, modèle standard, qu’ils avaient déjà aperçu, dès leur arrivée.

  L’étonnant astronef, accoté derrière le gros building, est maintenant illuminé d’une myriade de leds blanches clignotantes. Au loin, par-delà la fusée top niveau, les flots étalent, dans la pénombre, leur écume et leurs voiles sombres. Une usine a poussé, elle aussi, sur la côte rasée, mastolythe enchevêtré, qui campe dans l’eau saumâtre, accopiné à trois gros rafiots, l’air fermement ancrés à dégazer, qui rappellent à Xavier, l’espace d’une seconde, les néants arctiques psychotropiques, du géant Nol Astaya.

  L’hypertable de direction laquée, en géo céramique patinée, est, toutefois, dépourvue des cartes de visite, tout à fait à propos, qu’on s’attendrait pourtant, naturellement, à ce que ces quatre vieux phénomènes de foire aient déposées, juchés BCBG qu’ils sont, sur leur nid d’aigle, comme si se jouaient là, en toute simplicité, les ronds arcanes du destin. Et que rien d’autrement remarquable ne fut arrivé. Anton, et ses blonds épis emmêlés, entament la conversation, tout en désignant d’effroyablement affriolantes carafes de jus de fruits frais.

  – Pétra Baspancréa, David Mafia-Massedeboi, Allan de la Pardulion, et moi-même, vous souhaitons la bienvenue à Isenhar, l’ultime croisade de l’humanité.

  Son ton est las, mais ses yeux polaires scintillent de mille feux. Peut-être est-ce dû à l’éclairage irisé de la fusée   ?

  – Avant toute chose, ne soyez pas inquiets par les hululements récurrents de phacochère émasculé que vous entendez. Il s’agit juste de l’intervent qui traverse la tour, le soir, d’ouest en est. Nous avons bâti, durant sept longues années, cet énorme roc, sur lequel nous sommes, ce soir, échoués. Et ceci, il faut lui rendre hommage, grâce au dévouement sans faille de la délicieuse Pétra, ici présente, qui a su, de tout temps, inzuffler la bouffée d’air frais qu'il fallait à notre aventure tarée. Tout ce que vous voyez autour de vous porte sa griffe, incomparable. Fantaztique. Tandis que David s’employait à organiser, de main de maître, et par tous moyens mis à sa disposition, la transformation des blalgues. Et nous assurait, par la même occasion, rien de moins qu’une solide assise économique, stratégique, sur l’ensemble du territoire. Allan et moi, durant ces mêmes années exactement, avons employé notre temps à un violon d’Ingres d’un tout autre ordre : nous devions orchestrer, armés de nos vingt doigts et de son M.I.T. en aérodynamique cybernétique industrielle appliquée, l’incarnation du prochain voyage lunaire. Installez-vous donc, que nous vous contions, sans délai, la fabuleuse, et dingue, histoire d’Isenhar !

  Non, en fait non, ça ne vient pas du tout des lumières de la fusée : son regard iceberg est complètement halluciné...

 

 

 

 

  Tous s’attablent, les invités, maintenant hameçonnés à point, leur curiosité tout juste avivée. Pressentant, d’ores et déjà, la soirée partie pour s’éterniser. Frau Pétra, la quadra brune incendiaire au charme radioactif, trop légèrement vêtue d’une mini robe en mousseline mauve limite, mais vraiment limite, provoc, enchaîne :

  – Nous avons canalisé, zes dix dernières années, la vine vleur des gombédenzeuh que nous avons bu dénicher en zes terres désezbérément calzinées. Et, zela, grazeuh à notre humbleuh Anton, notre bezt ambazadeur fédéradeur, videuh devenu notre charizmatique, et virduose, cabitaine zurdoué des relazions humaines. Il a enrôlé tout le mondeuh izi, en gardant touzours à l’ezbrit que zacun avait za blaze à bord, et la même udilité, zans réelle élide ni hiérarzie, dans zedde nouvelle zoziédé. Du glaneur d’algue qui, zaque zouant, nous nourrit, a Bazigro et Borzinet, que vous avez vorzément croisés, qui veillent d’arrazeuh bied, aux bordes de nodre zidé. Et zacun de nous z’est un zouant inderrogé, zur ze qui arrivait à nodre luneuh.

  Elle reprend son souffle, et en profite pour réajuster, d’un index envoûtant, une mèche rebelle qui frisotte, sans y avoir été autorisée.

  – Qui, ou qu’est-ze qui, z’y édait inzdallé ? Berzonne ne zemblait abde à ezpliquer les causes exacdes de la huidième grandeuh ezdinczion : l’adomiqueuh. Mais un audre mizdère imbénédrable méridait bien qu’on z’y adarde un beu. Alors, la lie abadride de l’humanidé, zes craseux rezcabés, bludôt que de condinuer à z’endreduer, à z’entredévorer, ze zont modivés audour de la concrédisasion zolidaire de ze beu brozet : redourner voir, là-haut, ze que les meilleurs délezcopeuh édaient, izi-bas, ingabables de nous mondrer. Et lorzque, à notre grande zurbrize, il y a drois ans, les éclairs lunaires abbarurent, nous n’y vîmes bas coinzidenze, mais brovidenze. Nos évorts, dès lors, ont redoublé.

  Dav’, le gros rouquin, qui n’en est, littéralement, plus à ses premiers boutons de chemise, gonfle son cou carré velu de bûcheron des grands Nords de l’ancien monde, et brame :

  – De fait, ce qui fout dit fout fait, le Har s’est mouni de carrières. S’est indoustrialisé. Nous batîmes ateliers, couisines, greniers, pouis oune épatente centrale solaire marine. Et aussi oun’ingénieux complexe de désalinisation agraire. Chacoune de nos décisions se veut collégiale, prise en quorum, au sein de Grenelles, synodes, think tanks, moratoires, et autres foutoues joyeuseries ronflantes dou même type. Sans leader. Nous ne possédons pas même une prison, c’est de dire hein. Chacun, ici, est libre d’abandonner la partie. Si, et quand, bon loui semble. Et pourtant, notre fougue, tout sourire, n'est que façade. Nous avons dou payer, en rançon de nos excentricités, un tribout salé. Bien trop salé. Ouais. Nos fantômes nous tourmentent, à toute houante. Nos gosses, voyez-vous, nos voyous de mômes, qui se sont émancipés. Tous, sans exception, ont pris autonomie. Sont devenous nomades. Tous ont fait choix de parcourir le monde. Tous vivent de l’acheminement, dangereux, des blalgues. Et des déchets troniques, aussi. Et, l’ironie dou sort, c’est que notre rêve fou s’est trouvé, indéniablement, facilité, par les résidous de Miliance qu’ils nous remmenèrent, et qu’ils continuent encore, chaque jouant, de nous remmener. Qu’il pleuve, qu’il glace, ou qu’il vente. Les neuroprocs ancienne génération, qui équipent les C-bots agricoles d’avant Ø, sont rapides, c’est le moins qu’on pouisse dire. Ah ça ouais. Et nombre d’entre nous pigeaient, parreuhfaitement, leur fonctionnement. Mais les hyprocs auto-cognitifs à microcode auto évoloutif à oultra infousion synapso molécoulaire poly boucanée d’humain, implantés au cœur des insectes dégoutants, que la grande cité a, à ses débouts, dégueulé, et tous les autres déchets bizarres aussi fous qu’elle bazarde encore, chaque jouant que Dieu fait, des frigos GTPT à l’intelligence grillée, aux micro-ondes ICKC connectés déconnectés par implosion ferrique, sont issous d’oune techno qui semble provenir… du foutour. Pas de ce poutain de monde, en tous cas, quoi. Exemplaire...

  Allan, un gentleman, très style Oxford, un brin efflanqué, marqué d’une sale balafre en croix en plein milieu du front, profite, en douce, que son pote se serve un verre, pour lui voler la parole.

  – Nous ah ah ah avons en ou ou ou outre eu la bonne fortune de tom tom tom tomtom tomber sur deux ar ar ar arti artificiers, sans lequel on serait encore à l’houante qu’il est en train de cher cher cher cher chercher comment faire dé dé dé dé décoller notre fusée avec cette sale algue radioactive atomisée, qui sent la la la la ca ca ca ca la ca, la caca. Alors que la carrière de craie voisine nous a fourni la plus na na na na naturellement du monde le base du car carburant à la ni ni ni ni nitroca ca ca ca carbone lourde de synthèse. Une jeu d’enfant, dès que nous mai mai mai maîtrisâmes la technique con con con con con compliquée de la fi fi fi fi fi fi fi fi. Pfff... fi fi fi fi fi fi fission froide par filtrage de fréquence de flux fugitif de fluor frigide fuligineux.

  Il pause. Ça dévie un peu là. Aussitôt, Anton reprend la main. Et, dans sa lancée irisée, en profite pour porter l’estocade :

  – Les gars, on va pas tourner autour du pot plus longtemps. Vous voyez le topo. Je pense que, si vous nous avez écoutés, ça y est, vous aurez saisi notre propos. Or, nous avons, bel et bien, un blème. Qui pourra vous sembler tout à fait trivial, voire pittoresque même, sinon romanesque. Mais qui, nous, nous ennuie fort. Pour faire court, comme le gros Dav vous l’a appris à l’instant, nos jeunes sont des va-nu-pieds. – Mimique désolée – Pendant que nous, les survivants, étions occupés, les yeux, sans cesse, tournés vers les étoiles, nos rejetons se sont, eux, complètement désintéressés du sujet. Et regagnent, peu à peu, la partie, sur notre sur leur bonne vieille planète ravagée. Alors que les pères reposaient les pierres des fondations, leurs filles et leurs fils, leur sang, rouvraient, le plus souvent au péril de leurs vies, les voies récipiendaires de commerce, que la bombe a été à deux doigts d’annihiler définitivement. Les chenaux sans pitié du post-foutoir nucléaire. Jouantd’hui, nous avons, de nos mains, bâti une fusée. Mais l’expectative d’un trajet de deux cent mille miles dans le vide exige, de préférence, vous en conviendrez, un corps en excellente santé.

  Il s’interrompt trente secondes, le temps de bien scruter, sans s’en cacher, Iliah. Puis pivote vers Tony, puis Indi.

  – Nous avons justement, là, devant nous, trois parfaits spécimens, fortifiés aux pures hormones des Alpes. Qui me paraissent tout à fait prêts à m'accompagner, sur un bien plus grand croissant encore...

  Silence.

  Et oui, c’était comme ça. La terre avait trébuché. Ce qui, du coup, occultait maintenant, méchamment, les destinées. Vous pouviez vous cailler les miches sévère, sous le plus futile des refuges de pierre. Et ça, sous la pire tempête que vos cellules de pacotille aient jamais endurées, de toute leur pauvre vie. Et, une petite douzaine à peine plus tard, vous voir promettre la lune. Via un voyage aéroporté en classe VIP. Et, tant qu’à faire, aux frais de la princesse.

  Tout un programme.

  – Je vais proposer, de ce pas, le scénar à Blizzard. Pour leur prochain survival, raille Tony, discret.

  – Mouais, fait Indi, à peine un peu plus haut, sans nullement se démonter. Après tout, c’est, là, une offre qui ne peut pas trop se refuser. Et, peut-être, sait-on jamais, comprendront-ils, enfin, ce qu’ils foutent dans ce binz planétaire, au juste. Le coup des lunettes high-tech qui te balancent droit dans le futur, sans crier gare, ça lui reste un peu comme un sale truc coincé en travers de la gorge, quand même, lorsqu’on y pense. Si un sinistre imbécile a eu cette inimaginable idée chtarbée, tirée par les cheveux. Et qu’il est à l’origine, ou même, ne serait-ce que, seulement, partie prenante, dans cet ignominieux, exécrable et inextricable merdier abracadabrantesque à la mords-moi-le-nœud, il aimerait bien, juste, lui en toucher deux mots…

  En attendant, sous le firmament, les leds argentées, qui sillonnent les trois spacieux réservoirs spatiaux, clignotent d’un même rythme, lent et régulier. Et illuminent joliment l’ensemble, comme un sapin de Noël géant. Indi, du ton qu’il espère le plus désinvolte, bouche en cul de poule, Poker face, fait :

  – En vérité, j’ai deux trois questions qui me viennent là, tout de suite. D’abord, quel est le nom de la charmante demoiselle, qui va nous propulser tout là-haut là-haut ? Et, euh, quand, exactement, décollera-t-elle ?

 

 

 

 

  Somme toute, Xavier a, lui aussi, ajouté sa pierre à l’édifice. Et oui, il a convoyé, sans même s’en douter, trois des pilotes d’essai du projet, dément et mégalo, fomenté par Anton, l’inépuisable. Car c’est bien de celui-là, dont il s’agit. Ce petit astro-enfoiré a, par le passé, déjà eu l’occasion de proférer cette idée, aussi biscornue qu’inconsidérée. Et à maintes reprises. Aller voir, sur place, de quoi il retournait. En profiter, si possible, pour tirer tout ça au clair. Et, pourquoi pas, découvrir le fin mot de l’histoire, tant qu’on y serait. Non, mais ? Trois mois, et l’I.S.S. [20] Lilith, leur jument de feu, s’élancera. Trois mois, durant lesquels notre trio, estomaqué, aura à s’entraîner, sans compter, à défier les G. Arrivé, à point nommé. Au terme, de dix longues années, d’un labeur acharné.

  Tout naturellement, en même temps que la vie se réorganise, rondement, autour du mille-pattes ferroviaire qui draine, à travers champs, vers la toute puissante tour mère, blalgues, graines et métaux concassés variés, se construit, simultanément, avec les évidentes difficultés découlant de l’ampleur d’une perf de forçat, aussi parfaitement insensée, un engin de transport ionosphérique de classe 8.

  Normal.

  Iliah est plus tempérée, voire même carrément neutre, sur le sujet lunaire. Elle a pigé depuis longtemps qu’elle n'était pas encore au bout de ses surprises. Et elle y changera queud, même en restant les pieds plantés sur terre. Non, décidément, la vie n’est pas un long fleuve tranquille. Mais ses potes y vont, que diable. Et, pour tout dire, ça la divertit. Audentes fortuna juvat. De toute façon, elle n'en est plus à un ou deux dangers prêts. C’est même elle, d’ailleurs, qui se glisse, prem’s, dans les scaphandres en semi-polymère transparents stylés, adossés de leurs jolies bonbonnes d’oxygène en forme de tampax géants, pendant l’une des sessions préparatoires auxquelles ils participent maintenant. Anton, et son vieux corps, seront, eux aussi, du voyage. Le brillant vaisseau est conçu pour satelliser quatre voltigeurs. Ni un de plus, ni un de moins. À son crédit, les années de trek avec son poteau Xavier l’ont bien conservé. Et il en fut, de toute façon, décidé ainsi, lorsque l’idée loufoque a germée – probablement inoculée – sous le crâne des Mousquetaires. Notre joyeuse troupe est toutefois rassurée d’apprendre que deux prototypes ont été orbité avec succès, avec maestria, même, ces six derniers mois. L’équipe d’Allan a l’air de savoir ce qu’elle fait. Du moins, est-ce le souhait de nos trois sujets, engoncés dans leurs commodes combis atmosphériques, mais rudoyés par la Hartrifugeuse, soumis pour tests à la torture des G. Surtout, surtout, ne pas vomir !

  Ils ont troqué leurs hardes périmées – et autres slibards skidmarkés – contre des survêts, tous pareils, d’un blanc épiscopal, du plus bel effet. À la tombée de la nuit, après leurs six houantes quotidiennes de préparation intensive sauce SpaceX, lorsque les roses avancées maritimes survolent la tour-cité, nos trois astronautes en herbe – hallucinogène – retrouvent Xavier. Le plus souvent, dans la chambre d’Iliah, la plus spacieuse décorée. Autour de bouteilles de Côte de Provence rosé, millésime 2054. L’éternel baroudeur des steppes, qui, cette semaine, a pu accompagner son vieux pote Anton, dans ses pérégrinations journalières de DRH de la cité, a eu droit à une visite guidée gratuite des carrières, de New Port, et du micro complexe sidérurgique, récemment bâti au cœur même de l'ancienne Riviera. Les haryens ont retroussé leurs manches, et se sont défoncés, sous l’impulsion endiablée des Mousquetaires. Il leur décrit cette ingénieuse microsociété qui s’est, au fil des années, et à l’huile de coude, réinventée, contre vents et marées. Animée de la même volonté, farouche, de survivre, construire, et progresser. De créer. Et c’est eux, qui se retrouvent projetés, dans ce tonique délire aéronautique : Aussi étonnant que cela puisse paraître, personne ici ne les jalouse. C’est la résolution du mystère, et non le voyage en lui-même, qui, tous, les intéresse. Voilà des survivants qui en ont soupé de crécher loin de chez eux. Qui ont eu leur lot d’ampoules aux pieds, et leur compte d’albugos. Gavés à jamais du dress code Cro-Magnon, sous le revival îles Sandwich. Et, décidément, pas très fans de l’apologie de la crasse. Quant aux quelques déplacés V.R.philes qui ont survécu assez longtemps – sans trop bien savoir comment – au grand œuvre démonologique de Gorgdos, et aux prévarications des autres arbitres timbrés, pour finir par atterrir sur cet incroyable havre de paix parfait, ils n’ont, franchement, aucune, mais alors aucune, envie d’en repartir. Pas de risque. Peu d’entre eux ont gardé la fibre aventurière, si tant est qu’ils en fussent un jouant dotés. Xavier, lui, se délecte d’avance de pouvoir suivre les prochaines péripéties et tribulations à la télévision : La joute d’anthologie du téléphérique l’a, littéralement, éreinté. Et c’est lui qui roule sa bosse depuis le plus longtemps, faudrait pas l’oublier. En outre, il est tombé raide dingue des chambres à la patine zlave, et à l’égéganze indizcutable, désignées par la féconde, et atomiqueeuh, Pétra.

  Des chambres.

 

 

 

 

  Chaque matin, ou presque, des arrivages de convois d’ados se présentent aux docks. On y voit plein de XOs bizarres. Et des parents, qui se ruent sur leur progéniture. Venant aux nouvelles, pleurant les récents défunts, déplorant leur chair portée disparue. S’épanchant en force effusions. Le plus souvent, unilatérales. Avant, d’enfin laisser, le cœur serré, s’en aller leur chère marmaille. Anton évoque, un soir, cette curieuse situation – délétère, voire, limite, conflictuelle – alors que tous sont écroulés autour du futon d’Iliah, sous l’éclairage tamisé des lampes de chevet néo-rétro blanches – qui ressemblent à des présos gonflés.

  – Nos gamins ont choisi de voler de leurs propres ailes. Une inéluctable fatalité, dans toute l’histoire humaine, il semblerait... Ils ont, peu à peu, remplacé la première génération de caravaniers. Puis, du jouant au lendemain, ont décidé, voici deux ans – le 19 juillet – dans un acte de sédition impie, aussi fondateur qu’irraisonné, de partir s’exiler, tous ensemble, dans le défilé qui court entre les trois collines blanches, que vous apercevez là-bas, au fond, et la mer. C’est Aposphèlo, la baie des enfanges. Ils ont récusé l’autorité de leurs géniteurs. Et se sont organisés. Puis d'autres, peu à peu, les ont rejoints. Orphelins de ces terres désœuvrées. Ils assurent – avec habileté, je dois bien l’avouer – l’entretien des C-bots, des chevaux, et des chariots. Et, surtout, comme vous le savez déjà, ont acquis le monopole de nos imports exports. Beaucoup sont nos filles et nos fils, la chair de notre chair. Et beaucoup trop, hélas, trois fois hélas, périssent. Toujours est-il que l’accès à leur fief nous est, depuis lors, limité. Nous y sommes devenus personæ non gratæ. Seuls quelques-uns de nos émissaires, négociants ou ambassadeurs, y sont admis. Même notre octodrone HELIX [21] n'ose plus trop s’en approcher.

 

 

 

 

  Iliah n'est pas super chaude, en vérité, pour entamer un voyage pareil entre les pattes impures des puces électrotechs stupides qui gangrènent, depuis toujours, sa chère cité natale. Mais bon, les futuristiques bébêtes ont, paraît-il, été retournées, par rétroengi-je-sais-pas-quoi-en-ing, à leur avantage. Et sont, désormais, utilisées – soi-disant à bon escient – par l’équipe de savants déjantés. Tout autant pour assurer, par exemple, le flux d’air régulier dans les valves des respirateurs des novatrices combis de plastoc froissé, que pour diriger leur missile, qui devra assurer – si possible sans heurt – un trajet optimum, idéalement programmé, en se dépêtrant tout seul, et de préférence sans coup férir, du million d’aléas casse-couilles qui ne manqueront pas de se présenter, sur son chemin. Les quatre passagers ne seront, en réalité, dotés que de minissimes connaissances techniques, totalement ténébreuses, sur quelques impondérables épineux – ou autres honteux soucis cinétiques du crû – qui pourraient apparaître, durant leur traversée du vide. À une vitesse de tout un tas d’années-lumière à la seconde... En tenant pour acquis que soucis, dans ce non-environnement par essence asubstantiel, rimera, bien évidemment toujours, avant tout, avec tragédie. Leurs gentils organisateurs ont échafaudé, dans leur complexe dispositif cosmique, un voyage aller, théorique, de quarante-huit houantes, suivi d’un séjour de trois jouants et trois nuits, qui pourra être instamment écourté, si les circonstances l’exigent. Et puis un retour, espéré, sur terre, long d’à peu près une cinquantaine d’houantes, à vitesse météorique. Une grosse semaine, et 160 000 lieues plus tard, ils pourront, enfin, se reposer. Fastoche, une bête croisière à Saint-Barth.

  – Priscille, bon sang, si tu me voyais…

 

 

 

 

  Les Mousquetaires, et leur aréopage nostalgique, ont, indubitablement, singé, dans leur fièvre entrepreneuriale déjantée, ce que leur pauvre cortex irradié aura, finalement, principalement retenu, des temps d’avant le Grand Recommencement : Tony et Indi se sentent piégés dans la trame, tressée au marteau-pilon, d’une espèce de Mad Max, qu’aurait pu diriger Michael Bay. Cette bande butée de spatiofanatiques fous furieux a, quand même, construit une fusée. Voyez-vous ça : une fusée, putain ! De leurs propres mains !

  Des grands malades...

  Pas étonnant du tout, en fait, que leurs gamins – dans un probable éclair de lucidité – aient pris, direct, la poudre d’escampette. Pour filer fissa se barricader, derrière la première colline qu’ils auront trouvée.

  Et devinez qui sont les inconscients inconséquents, qui vont poser, bientôt tout bientôt, leur cul innocent, sur le maous baril de poudre nitroradioactif ? Ben eux, pardi. Chanmé.

  Tony a décrété qu’ils étaient en train, là, de traverser le level 6 du beat'em up, level intitulé la Galère sidérale.

  En tout état de cause, une petite quinzaine, à peine, d’activité physique soutenue, nourrie d’une alimentation détox, riche et variée, et savoureuse, de surcroît, aura suffit à requinquer nos quatre aficionados aventuriers. Puis, faut bien avouer, le majestueux navire céleste émet, sans ambiguïté aucune, une attraction toute magnétique. Scintillant de mille feux, au jouant, sous les rayons d’or, reflétés par la haute tour de verre. Il en met plein la vue. Confère au lieu une débauche visuelle ineffable. Autant qu’il insuffle à leur épopée de nouvelles perspectives, incontestablement, épiques. Cosmiques, même. Les filles ont les yeux qui brillent. Les cinq.

  Les résultats records d’Iliah aux interminables tests musculaires, et multiples prises de sang, auxquelles nos trois rats de labo, au crâne, depuis peu, rasé de près – apesanteur oblige – se soumettent maintenant, quotidiennement, et sans broncher, laissent l’équipe médicale pour le moins perplexe : De l’aveu même des blouses blanches, c’est la toute première Milienne qu’ils ont l’heur d’examiner. Et ils en déduisent que la grande cité, malgré ses fâcheuses façons de faire, a l’air de soigner, à la perfection, le bioéquilibre physiologique et microbiotique de ses administrés. Personne ne pourra dire le contraire. Même si, toutefois, la rate de la jeune évadée a, apparemment, subi une hypertrophie pantagruélique tout à fait unique. Un truc, jusqu’à ce jour, non répertorié.

Chapitre 19
Chapitre 21

[18]   Alors les gars, vous vous êtes paumés dans les alpages à c’qu’on dirait ?

[19]   Et qu’est-ce que vous lui voulez euh, à Anton, hein ?

[20]   Isenhar Space Ship

[21]   Hélico Émeutiers Laminator Inflexible à Xénorotors