Shine on you crazy diamond
Livre de Balthazar
Quatre heures du mat’. Nuit. Les termites se sont rassemblés. Ainsi que je l’escomptais, nous avons levé une armée. Une armée ! Une vraie de vraie. Ça en jette. J’observe leur boss, qui jamais, ô non jamais, ne cillera. Son nom est légion. Le mouflet est un orateur né. Il dresse l’animal langage. Comme il maîtrise l’art d’exorciser leurs peurs. Et a su, ainsi qu’il le fallait : à petit feu, attiser leur haine.
Ses cheveux dansent sous les rafales iodées. Slex harangue ses ouailles. Sur les pentes de sel gris, face à nous, une bonne moitié du contingent dévot s’éveille.
– Mes sœurs, mes frères. Jouand’hui, nous grandissons. Et, dès la fin du levant, nous pourrons nous contempler, avec fierté, dans leur gros miroir, prophétise le blondinet.
La scène n’est pas dépourvue de sel, ça ! Et, pour ma part, je dois dire que je bois du petit lait. Entendons-nous bien, ne va pas imaginer, là, quelconque signe de lâcheté. Bien au contraire. Il ne s’agit de rien d’autre que d’un petit, mais habile, stratagème. Pour l’instant, je me suis tenu dissimulé. Tu l’auras compris déjà, il était parfaitement inutile que ces sales petits fils de scor apprennent trop tôt que j’étais revenu du royaume d’Anubis. Je les ai repérés, d’ailleurs. Trois fois. La dernière, j’ai presque failli m’y laisser prendre. Sacrée Poussière, même la sauvageonne a rasé sa grosse crinière de gitane. Mais on s’en fout. Ce coup-ci, ce sera le bon. Ils sont faits.
La termitière s’agite, vite. Deux mille morveux aux pieds plats s’éveillent, s’animent, s’étirent, se redressent. Tandis que l’aube, elle, hésite encore. Les préparatifs, fébriles, d’une tribu d’hyperactifs. Les anges à pied, déjà, s’élancent, alors que la cavalerie de vieux katpats, et de bourriques abîmées, achève de se harnacher, dans un remue-ménage fiévreux. Des vétérans C8 et C9, à fusion expérimentale d’isotopes de propane sale d’étamines de cactus moisi – des antiques boîtes de ferraille tape-culs rudimentaires, et toutes cabossées, encastrées sur leurs pattes frêles d’antilope argentée, sont venues, elles aussi, participer aux festivités. Sans doute les ultimes modèles, encore en service, de ces séries, peut-être canoniques, mais sans nulle autre pareille. Beaucoup de ces C-bots trafiqués sont sanglés de selles demoiselles artisanales, inventives et chamarrées. Certains de vieux sièges baquets défoncés, non homologués, au rembourrage plus qu’incertain. Même un, de F-15. Et les silhouettes d’une centaine de bébés cow-boys, elfes improbables, en robes immaculées, qui se regroupent, à l’ouest, sur leurs doubles poneys. Je prends selle. L’angelot, à ma gauche, déjà perché sur son jeune Noriker revêche, brandit son sleptre, très très haut, aux anges. Mais l’air aussi grave qu’un cénobite du film d’horreur.
– Ô Roc, arme nos bras de ton élan, et de son poids. Souffle, à nos âmes, ta sagesse et son tranchant !
En réponse, la clameur, et la tension, s’élèvent en chœur. Des fillettes faméliques dissipées, voire carrément hystériques, sur leurs Ipar-appolins, ne sont pas en reste. Sur les starting-blocks. Oui, ça va chauffer, Poussière ! Chacun y va de son plus bel appendice ravageur. De la vieille pioche oxydée, à la queue de lib reformatée. Du pétoire, chromé à l’âge de pierre, aux infâmes implants noirs de pinces SM [25] . Des phytoblasters au vibranium de Creutzfeldt-Jakob à refroidissement liquide encéphalorachidien de homard, au basilic à antimatière fécale. Avec un tel arsenal de saloperies dévastatrices en tout genre, cette journée s’annonce fertile, en feux d’artifice multicolores. Et en macchabées. Climat explosif ! Un éclair bleu, en Y, s’élève dans l’air salé, depuis la crête d’en face. Un minot archer vient de tirer, de son carquois, une sacrément belle épine électrique. Slex tend son bras, en avant, barré du bambou fétiche. Les VACHE sifflent, et les hongres hennissent. Ainsi sonne le branle-bas de combat. Les trompettes étaient bien là, en fin de compte. Les anges allégeant donnent l’assaut, d’une communion disciplinée.
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Trois coups.
De nouveau, ces sirènes obscènes. Mais, cette fois-ci, tous s’y sont préparés. L’appréhendée date fatidique. Dans les ténèbres, Isenhar hisse le drapeau noir. Un nuage, pâle et opaque, en forme de barbe à papa, déboule, droit dans leur direction. Le vœu pieux des mousquetaires n’aura pas été exaucé. Tous les pourparlers ont tourné en mascarade, viré au schisme, avant de, finalement, voler en éclat. Un fiasco complet. Restent Passigro et Porcinet. Et leur régiment de Robs de chantier. Et ils y ont mis le paquet. D’un vieux camion-grue de pompiers, vraiment vraiment cabossé, au bout duquel un allumé a suspendu un gros rocher, comptant bien s’en servir de masse d’arme version surdimensionnée, aux cent opérateurs engoncés à l’intérieur de leurs Gundams d’or. Les Vingiens, ces vieilles armures zygodactyles ouvrières d’avant Ø, qui ont l’air, chacune, prête à concasser une montagne. Non, décidément, l’haryénité n’a pas chômé. Les écuries d’Augias se sont donné les moyens de leurs ambitions. Bâtir une pareille cité, à partir de rien, méritait, au minimum, d’être secondé d’une palanquée d’anthropobots préapos. Infaillible. Tous ont dû s’y donner à cœur joie, pour ajouter leur pierre, et leur savoir-faire, à l’extravagant édifice de verre. Et rivaliser d’ingéniosité. Laquelle force, quand même, l’admiration. Total respect. Trois C-15M ont été soudés, en une monstrueuse faucheuse beige et noire de tôles froissées, dont ils avaient tous entendu parler, mais qu’ils auraient, tout de même, tous préféré ne jamais voir, en vrai. Et qu’ils vont s’empresser, au plus vite, d’oublier. Un aérolote patiente, assis, aux commandes d’un gros drone noir IDS [26] huit rotors, posé au sol, tandis que son mécano met la dernière main aux préparatifs de vol. Sans doute deux anciens déssoudeurs des BRAV-M de Macron.
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Dans les chambres, chaque geste, depuis l’éveil, est programmé. Déjà n fois répété. Douche, survêt, chaussettes, tennis sans lacets. Verre de lait d’oie frais, et galette de blé. Dans le couloir, les habituels saluts sont suivis, jouand’hui, de regards appuyés. Lourds de sens. Tous hument le parfum, piquant, de l’aventure. Seul Indi sourit. Derrière la cage vitrée, qui entame son ascension, tranquille, l’épais nuage de fumée grossit, franchement, dans la nuit. Tony ne trouve aucun haïku spirituel à cantonner. Alors, pour tromper sa nervosité, il fait craquer ses jointures. L’atmosphère n'est même plus électrique. Pour eux, ce matin, elle est, juste, cosmique.
– Ça chauffe en bas, constate Iliah, à qui le cheveu ras, la peau glabre, et la mâchoire adoucie par ses joues remplumées, donnent l’air, exquis, du trop parfait mini-clone d’un flambant futur de SF vieille école, finalement fort hypothétique.
– Et ça va pas tarder à chauffer en haut, aussi…
Leur voisin de palier, Xavier, les yeux encore tout pochés de ses pétrasques de la veille, escorte les jeunes pilotes d’essai jusqu’à la passerelle. Mais, lui, redescendra ensuite, sagement, vers le bureau des opérations, et ses huit cents téloches.
Étage 81. Anton est là, paré dispo, et, en bon Hartronaute, tout de blanc vêtu, devant le long couloir, en triangles de verre, qui relie la cité verticale à la coiffe de la grande fusée.
5 h 00. Le jour n'est toujours pas levé. Ce sont des voix, que l’on perçoit, dans les collines au loin. La fronde a démarré. Une détonation sourde secoue le sol. La tour, tout entière, sursaute. Et répond, du tac au tac, d’un inimitable roulement de tonnerre, franchement guerrier. Le monumental décor de verre assure aux cinq lève-tôt une vue vertigineuse, à exactement 360 fois 360 degrés. Sur la colline la plus proche, un panache de fumée noire s’élève du gros camion rouge rockpunk, éventré. Le fleuron cuirassé à l’air plutôt amoché, pour le coup, au fond de son cratère.
Presque tout a été prévu : Devant l’échec – d’abord plausible, puis, devenant, vraisemblable – de toute diplomatie, les haryens ont décidé d’avancer, de deux semaines, le lancement de leur vaisseau. Sentant planer, sur la grande épopée, les parfums prémices pestilentiels du péplum. Les hostilités sont ouvertes. Le parricide, déjà, consommé. Les gros exos sont vite submergés par les cohortes de XOs séraphiques déchaînés. Les chérubins aguerris les manient via deux solides antennes de jais annelées, plantées à la proue des vieilles poupées d’acier. D’en haut, dans la pénombre, on pourrait croire les grands centurions mordorés, aux gestes désynchronisés, avalés par des rangs serrés d’énormes cryptides affamés... Sans parler des licornes noires qui débarquent. C’est bien des hurlements déconfits, qui parviennent à leurs oreilles. Presque tout a été prévu, donc. Sauf que les moutards furax ont décidé de lancer leur putsch si tôt. Les meilleurs experts en tactique des conflits intergénérationnels tablaient, pourtant, sur un probable éperonnage, avec les anges affranchis, autour de sept houantes. Mais bordel, le soleil n'est même pas encore levé ! C’est tout juste si l’aurore se décèle, dans le ciel, dont l’obscurité parme bleuit, vaguement, à l’est.
Xavier, qui ne peut, décidément, se résoudre à les quitter, leur emboîte le pas. Jusqu’au sas triangulaire de Lilith. Ils se précipitent maintenant, 230 mètres au-dessus du vide, et de la zizanie, dans le long terminal vitré. Un second coup de grisou, plus fort, ébranle le sol. Ou, plutôt, ce qui en tient lieu. Les IPN XXL qui soutiennent la passerelle perchée couinent. Méchamment. Derrière eux, quatre baies vitrées explosent, en cadence. Dans un grésillement d’enfer. Réduites, instantanément, en micromiettes. Et c’est à cet instant-là, au loin, qu’ils l’aperçoivent. L’ange exterminateur. M est vivant. Dans la mêlée, au sol, ses nouveaux membres de cristal saisissent les premiers rayons de lumière, tandis qu’il projette, d’une mandale chromée, un mecha impuissant, droit devant la neuvième porte – qui, comme tout le monde le sait, se situe précisément six pieds sous terre, juste en dessous du trente-sixième dessous. Chevauchant son destrier noir, il fend la défense affolée et galope, allègre, dans leur direction. Ils en restent bouche bée, oublient même d’en respirer, en équilibre précaire sur leur passerelle défoncée. Anton a capté les regards subjugués, clairement chagrins, et tous convergents, des quatre zigotos, et s’interroge, quant à lui, sur l’identité de cette tornade emballée inopinée, qui vient, à l’instant, de dépasser, en toute précipitation, les rangs angéliques, et fond, fracassant, sur la cité. Abandonnant, sans compassion, ni grâce ni pardon, dans son infâme sillage cavalier, mares de sang et cuirasses débitées.
Une des poutrelles en torsion, mise à mal par la susdite réplique, lâche, comme un ressort à l’étroit, et projette, violemment, le grand blond, contre un solide, et froid, croisillon d’acier. Le pauvre Anton, contusionné, s’effondre. Tout ça va trop vite, bien bien trop vite. L’épaule droite enfoncée, le grand blond aux cheveux indisciplinés est grièvement touché. Mais, affalé sur sa baie suspendue, il garde un calme imperturbable, olympien, devant son rêve fou scintillant, mais ensorcelé. Qui vient, à la seconde même, de lui échapper. Sacré Graal. Alors, il se tourne vers Xavier, dans un gémissement poignant.
– Tu vois, mon ami, encore une fois, Jack Py avait vu juste…
La tache noire se répand, lentement, autour de son omoplate esquintée.
– Une broutille. Je survivrai. Le temps presse, filez, maintenant !
Xavier pose sa main sur la joue de son camarade d’aventure.
– Dans une semaine, vieux frère. Et, je te préviens, t’as tout intérêt à commencer à nous préparer le banquet de tous les banquets !
Les destinées.
Les quatre – pas tout à fait les bons – enjambent l’écoutille triangulaire. Les scaphandres aux reflets polychromes n’attendent qu’eux. Iliah, rodée, aide le senior à enfiler le sien. Les grands casques restent, pour l’instant, accrochés dans le sas oxygéné. Puis Indi et Tony s’installent à l’avant du spacieux cockpit. Les dossiers des fauteuils en Bubble-gum sont couchés, à l’horizontale : une manière particulière de s’allonger, les jambes en l’air.
Tony : – Équipage en position !
Quelqu’un cause dans les baffles :
– On a ré cu cu cu cu récupéré Anton.
C’est Allan.
– Xavier, je me dois de te le deu le deu ledeu le demander : es-tu tou tou toutou toutout à fait bien certain de ce que tu fais ?
Xavier répond, catégorique, via le micro fixé au col de sa combinaison d’emprunt.
– Action !
– Soit, répond le balafré. Alors je vous souhaite vents a a a ah ahhh ascendants et cieux fa fa fafa fa favorables !
Indira manipule, des deux mains, son allotablette. Et ça déclenche la fameuse séquence. La terre tremble encore. Ah, non, cette fois-ci, c’est eux. Le pas de tir de la grosse Lilith se met en branle et entame une translation horizontale, calmos, sur son socle ferré, afin de s’éloigner du bâtiment protecteur. Avec la célérité d'une fourmi corse détendue.
Tiens, d’ailleurs, puisqu’on parle d’eux : pas si loin, ça se corse. On dirait même que la bataille bat son plein. L’aube, chaque minute, dévoile de nouvelles dizaines de silhouettes, de chair et d’acier, jetées, à corps perdu, dans un carnaval infernal. Tout aussi frénétique, que féroce. De partout des geysers, indéfinis, explosent. Au sol, les digues de défense tombent, l’une après l’autre. La bagarre fait rage. Sous une déferlante, impossible à endiguer, les troupes alliées, exécrées, sont en voie d'extermination. Dans le pogo général, les cavaliers archers tirent, à l’aise, leur épingle du jeu. Trucident, à tout va, les dérisoires carapaces en détresse. Le gros hélico noir bat de l’aile, et pique du nez, à la ramasse. Les jaunes Vingiens, au four et au moulin, en font des montagnes, ne reculent devant rien, mais finissent, quand même, toujours, par mordre la poussière. Brutalisés, tranchés, hachés menus, désossés, décapités, grillés, foudroyés, ou tout simplement écrabouillés. Jusqu’à ce que mort s’ensuive. Les irrespectueux enfanges déchaînés tirent, de tout feu, sur leurs aînés. Qui se croyaient, pourtant, blindés. Les échos mats des claquements de balles, des coups de tromblons, et des détonations en tout genre, décuplent. La mêlée se rapproche.
On y est, les dés sont jetés. Et la partie va, visiblement, se jouer serrée.
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«10» . Légers électrochocs au bout des doigts. Les sièges en caramel tremblotent, comme des Chupa Chups secouées. Les allotablettes dix-huit pouces affichent les images captées par trois cams collées au fuselage, et orientées vers la poupe. Et celles d’une, distante, qui épie, à l’abri, le décollage imminent, depuis la plage. Le Har s’est éloigné, de trois bons terrains de foot. Ils ne voient plus sur leurs écrans, de la grande bataille, qu’une pagaille d’explosions et de poussière qui se répand, rapidement, près du vieux stade nissart, à l’est de la nouvelle Babylone assiégée. La garde rapprochée ploie déjà, sous les assauts barbares. En cet instant, ils craignent le pire, pour leurs amis haryens.
«9» . Les tremblements s’intensifient, sensiblement. Quatuor rythmé de tachycardies.
«8» . Trois paires d’yeux rivées sur leurs moniteurs. Seul Indi a levé la tête. Et salue les étoiles, en silence.
«7» . La lumière se fait dans l’habitacle. Le soleil, dans un timing parfait, s’invite, à brûle-pourpoint, à leur virée.
«6» . Le panache de fumée blanche, qui monte du réservoir principal, dans leur dos, s’amplifie. Au même instant, sous l’œil de la 3, une ombre interlope apparaît, sur le fuselage de la fusée. Irruption humaine. M, le dément, en train de grimper. L’indécrottable pot de glu. Le sarcome protéiforme. Ses nouveaux membres scintillants escaladent, quatre à quatre, les échelons fixés au long carénage d’aluminium.
«5» . Le monde rugit. Le bruit blanc pilonne les tympans. L’habitacle est pris de secousses terriblissimes et fait mine de se désintégrer sur le champ. Les big mamas élastoplastiques s’autogonflent et tentent, par la même occasion, d’immobiliser leurs passagers. Lilith met les gaz. Les 16 superstatoréacteurs viennent de s’enflammer.
«4» . Sur la 3, la silhouette grandit, encore et encore. Tous peuvent voir, maintenant, le visage, en rage, de l’invincible Goliath atrabilaire, occulter la cam arrière. Tandis que, dans son dos, mugissent les flammes de la fille des Enfers.
«3» . Les holoécrans deviennent tout blancs. Tout n’est que secousses.
«2» . La 4, qui se dore à la plage, a pris la relève, et s’est octroyée tous les pixels. L’éther, devant, à son tour, a viré blanc.
«1» . Un choc mat ébranle la structure, juste en dessous. Puis quelque chose de lourd dégringole, rapidement, en ricochant. Vade retro Mégildas ! Sayonara, et veuillez agréer les plus sincères condoléances de mon cul.
«0» . Indira est le dernier à s’évanouir, englouti par un soudain trou noir.
[25] Scor Milien
[26] Ignominieux Dispositif Sécuritaire