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Pré carré

 

Mother

 

 

 

  Trois jouants et trois nuits durant, ils ont dû contourner une immense tempête de sable chargée de SRAS, qui croise plein nord sur la lande, et semble bien décidée, sur son passage, à engloutir le monde tout entier, sous ses énormes maelstroms verts de poussière. Le petit groupe achève de sangler les caissons sur le kadru rechargé, au terme d’une matinée de pause au calme, plus que bienvenue. Iliah s’est juste assez éloignée, en privé, derrière les ruines d’un corps de ferme réduites à trois monticules de pierres branlantes à l’abandon, affaissés sur un bougainvillier fossilisé, et prend une douche bidon sommaire bien méritée, sous les jets chiches d’un vieux jerrican en plastoc laiteux, qu’elle secoue brutalement pour en extraire jusqu’à la dernière gouttelette, faisant perdurer ainsi autant qu’elle le peut l’apaisante sensation des flots tièdes sur son épiderme en feu. C’est Indi qui aperçoit le premier la seconde tornade de poussière houleuse qui dévore, elle, la trace qu’ils ont empruntée la nuit dernière, et qui fond sur eux à tombeau ouvert. Dans un bruit de pot cacochyme pétaradant, déboule plein gaz un SUV dépossédé de sa carrosserie, qui pile à dix pas d’eux, dans un dérapage pas très contrôlé, en soulevant un impressionnant tsunami sablonneux. La tire fait peine à voir. Elle a été entièrement désossée. N’en subsistent que les éléments moteur encrassés au cambouis, et les arêtes du châssis d’acier soudé à l’arc, grignotées et jaunies par les ans. Un étendard tricolore fané, sale, déchiré et tout effiloché, ondule, timide, sur la hampe tordue fixée à l’arrière de l’endosquelette malingre d’Honda Civic. À l'épaisseur de la mélasse noire qui s’échappe du pot défaillant désassemblé qui traîne négligé à terre en implorant grâce, le vieux moulin d’origine tout corrodé a dû être en plus bidouillé pour brûler des sulfures d’azote frelatés. Énergie sale à mort.

  Deux grosses masses s’extraient sans grâce du machin, un pachyderme bas du cul et sa baleine, tous deux sapés de longues toges noiraudes à grand col immaculé, qu’on est plus habitué à voir lustrer le parquet impersonnel des maisons éponymes. Pas l’idéal pour conduire… Les hippos ont tous deux la cinquantaine bien sonnée, le même teint fardé cireux de navet périmé tout à fait inhabituel sous ce soleil radieux, deux nez aquilins un poil trop similaires, le même dos courbé et le même estomac dilaté en gelée de veau franchement proéminent sous l’effet d’apparat. Peut-être sont-ils frère et sœur ? La ressemblance frappante étant d’ailleurs encore accentuée par la moumoute frisotée, jadis blanche, qui coiffe le petit homme. Le gus brandit, bien droit, de sa pogne osseuse et courbe, un code pénal corné, comme s’il s’agissant là d’un talisman. De l’autre, il caresse discrètement du bout de son index crochu, dans un va-et-vient malfaisant, le canon d’un FAMAS d’époque, tout oxydé, qu’il porte en bandoulière – un toc usuel chez la S.S. La mégère boulimique en poire, à la tignasse décolorée embroussaillée, derrière lui, pointe, elle, un canon scié méga rouillé, approximativement en direction du petit groupe. Un ganglion jaunasse veiné de bleu, gros comme un œuf d’oie adulte, déforme son triple menton et laisse suinter goutte à goutte un petit filet de pus pur jus qui souille l’élégant épitoge d’une auréole franchement dégueu. Le cétacé annone tout bas dans sa barbe un truc mystique un peu inquiétant, en boucle, comme si elle craignait en s’arrêtant de l’oublier.

  – Vagabonds, vous tombez ce jouant sous la juridiction des justes juges arbitres du Recommencement. En vertu des pouvoirs qui lui sont conférés, notre suprême instance punitive va examiner de ce pas le degré d’immoralité de vos actes, signifier expressément vos manquements, les juger en comparution immédiate, puis enfin nos bras armés sonneront sans prosélytisme l’impartial et expiatoire tocsin de vos pratiques indubitablement déviantes, et qui plus est fatalement fourvoyées, assène le petit perruqué enfariné mal fait, d’une voix de mirliton émasculé, raide comme la justice et droit comme un I ventripotent. Devant les trois gars médusés, il entame aussitôt inspection minutieuse du bœuf robotisé, tournoyant autour de XO d’un pas martial parfaitement ridicule, tout en feuilletant son vieux livre de lois périmé. Il persiste dans son soliloque :

  – Nous pouvons voir devant nous un exoporteur de catégorie 3 modèle GIAT C15A, A pour Agricole, assurément extorqué à Monsanto, sa robe le prouve c’est incontestable c'est un fait. Même si sa disparition illicite n’a pas été signalée du fait que son industrieux propriétaire bouffe sans doute à l’houante qu’il est ses pissenlits transgéniques par la racine, nous n’allons certainement pas vous laisser vous en tirer à si bon compte mes loulous. Voyons voir pour les chefs d’inculpation, hum, voilà, voilà c’est là. Article 311-9 du 1er mars 1994. Le vol en bande organisée est puni de quinze ans de réclusion criminelle et de 1 000 000 F d'amende bla bla bla Les deux premiers alinéas bla bla sûreté sont applicables aux infractions prévues par le présent article. Hum. OK OK. Et maintenant, mon verdict : Coupables ! Vous êtes jugés. Coupables ! Josette qu’est-ce que t’en dis ? Ton verdict ?

  La grosse mamie hommasse purulente, toujours flanquée quelques mètres derrière, ouvre un œil, brandit sa carabine au-dessus de ses épaules boudinées, et peut enfin lâcher tout haut ses psittacismes vaudous extatiques : – Cloupabes ! Va z’êtes jugés. Cloupabes ! en offrant à l’assemblée tout un florilège de postillons verdâtres bien chargés.

  Bon, vous voyez le genre, deux têtes ingrates toutes pleines de merde, dans des corps idoines. Le petit moche reprend son homélie mielleuse, un sourire méchant pathétique étire à l’horizontale sa gueule ridée de corvidé fauve, dans un rictus denteux abject.

  – Alors voilà, c’est comme ça, le temps de l’impunité est à présent irrémédiablement révolu. Il n’y a plus de prisons pour vous châtier convenablement, et cela me chagrine… – une pantomime endeuillée fait chuter ses zygomatiques mous – …sincèrement. Aussi, nous voyez-vous obligés de répondre à vos agissements indignes, mais fort heureusement justiciables, d’une vindicte pénitentielle plus expédi… CRAAAC ! Un coup de tonnerre assourdissant déchire l’azur pétrifié. Un morne répercute au loin son écho tardif. La tronche du juge exalté éclate dans une gerbe éphémère extraordinaire, façon bolognaise, toute en lyrisme, mais pas spécialement politiquement correcte. La vieille bique boudineuse a juste le temps de se chier dessus alors qu’elle voit son honneur surmonté d’un chou-fleur ignoble tout poisseux dégoulinant camper quelques secondes en sursis indécis, dans un équilibre d’une précarité affligeante, pour finir par choir à terre dans un bruit flasque atroce vraiment craignos et voilà que, rebelote, une détonation analogue fait trembler derechef l’air tout autour, et lui arrache d’un coup d’un seul le sommet du crâne, scalp inclus, projetant au sol un colombo indécent de cerveau monoclonal, mèches peroxydées, sang AB négatif et esquilles d’os gris.

  Pronostic vital engagé.

  L'audience est levée, l’impétueuse benjamine, hiératique comme la roche, crosse à l’épaule, nue comme un ver, et encore toute ruisselante de ses ablutions récentes, vise toujours les deux dépouilles sanguinolentes, devant ses trois amis éblouis.

  Face à ce modèle rare, en cet instant, Indira pique un fard. D’un frisson sismique, qui trouve sa source dans son échine, puis secoue progressivement jusqu’aux tréfonds mêmes de son âme, il reçoit l’illumination divine.

 

 

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  Pour ne pas déroger aux us de ces terres sans foi ni loi, nos aventuriers en herbe passent au crible la tire pourrave et les robes cradosses des deux infâmes oiseaux de malheur, mais n’y dénichent rien de super utile. Le FAMAS poli n’est livré qu’avec un seul chargeur mi-complet de quinze cartouches. Mais bon, l’intérêt de l’engin réside à dire vrai au moins autant dans son rôle un rien dissuasif que dans sa réelle force de frappe. Tout ça c’est bien beau, mais le plus préoccupant reste quand même de savoir comment pareils énergumènes ont pu se procurer une telle arme de guerre. Ça en dit long en tous cas sur l’anarchie totale qui règne sur ces régions saccagées. Tous espèrent très sincèrement que ces putains de pervers polymorphes de sous-merdes de juges arbitres d’opérette ne se soient pas dégotés de trop nombreux autres barjots pinochistes, comme adeptes déjantés, dans cette si imprévisible et décadente contrée. C’est la fête du slip, en fait. Mais bordel, où sont donc passés les schmitts ?

 

 

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  Allant à l’encontre de l’avis défavorable émis par papy, les deux garçons se mettent en tête d’enseigner à leur cop impudique quelques rudiments de conduite, en remerciement de son double carton irréprochable, le temps d’épuiser le contenu du réservoir du buggy catastrophe, comme ils l’ont baptisé. Ledit achèvera rapidement sa course grippée emplâtré dans le décor, le bloc moteur embouti sous un raisonnable mètre et demi de sable, sans par bonheur que personne ne fût blessé. Puis la petite troupe reprend place sur les quatre planches que l’inépuisable XO fait osciller de son si tranquille port bovin. Les deux gorets élagués et les blobs burk déjà tout desséchés gisent exactement là où ils sont tombés, livrés en pâture au soleil et aux charognards, ou à ce qui peut rôder d’encore pire dans cette vasque oubliée. Pour singulière stèle, un code pénal édition 95, planté de biais.